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3854. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
22 mai, aux Délices.

Madame, voici les extraits des principaux passages de l’oraison funèbre d’un cordonnier, par Sa Majesté le roi de Prusse. Le livret est assez considérable, et de la taille des oraisons funèbres du grand Condé et du marécbal de Turenne. Il est étonnant que le roi de Prusse ait pu s’amuser à un tel ouvrage, l’hiver dernier, tandis qu’il préparait à Breslau les opérations de la campagne qu’il exécute aujourd’hui. Il en a fait bien d’autres ; mais comme il a livré son Cordonnier à l’impression, on peut en donner des extraits à une princesse discrète sans trahir des secrets d’État, et sans manquer à ce qu’on doit à la majesté du trône. On dit que le prince Henri pourrait ajouter quelques talons aux souliers que le roi de Prusse a célébrés, attendu qu’il a vu ceux de l’armée de l’empire, laquelle est nommée, je pense, l’armée d’exécution. Je ne sais pas trop bien les termes, madame, et je manque peut-être à l’étiquette ; mais ce que je sais, et ce que je trouve fort mauvais, c’est qu’on s’égorge après avoir plaisanté. Le canon gronde, le sang coule autour des États de Votre Altesse sérénissime. Elle daigne souhaiter que je vienne lui faire ma cour ; quel chemin prendre ? On ne peut passer que pardessus des morts.

Enfin, madame, Votre Altesse sérénissime a donc pris le parti de l’inoculation ! Vous êtes sage en tout. Les autres cours ne le sont guère, de se ruiner et de faire tant de malheureux. Je ne pardonne qu’à César et à Alexandre d’avoir fait la guerre : il s’agissait de la moitié de la terre ; mais ici (pour se servir d’un proverbe noble) le jeu ne vaut pas la chandelle. La grande maîtresse des cœurs n’est-elle pas de mon avis ?

Le vieux Suisse se met aux pieds de Votre Altesse sérénissime et de votre auguste famille.


EXTRAITS DE PLUSIEURS MORCEAUX
de l’éloge funèbre du cordonnier reinhardt
par sa majesté le roi de prusse[2].

Une chaussure mal faite révolte par sa forme désagréable ; elle presse le pied et lui donne, en le gênant, des duretés qui causent des douleurs à

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. On verra aisément dans quelle intention ces extraits ont été faits, et de