Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/127

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nos épées, vous leur avez donné une petite leçon ; Dieu vous doint la paix, sire, et que toutes les épées soient remises dans le fourreau ! Ce sont les dignes vœux d’un philosophe suisse. Tout le monde se ressent de ces horreurs, d’un bout de l’Europe à l’autre. Nous venons d’essuyer à Lyon une banqueroute de dix-huit cent mille francs, grâce à cette belle guerre.

Pour le parlement de Paris, ce tripot de tuteurs des rois diffère un peu du parlement d’Angleterre. Les sottises dites à haute voix par tant de gens en robe, et avocats, et procureurs, ont germé dans la tête de Damiens, bâtard de Ravaillac ; les sottises prononcées par les jésuites ont coûté un bras au roi de Portugal ; joignez à cela ce qui se passe de la Vistule au Mein, et voilà le meilleur des mondes possibles tout trouvé.

Encore une fois, puissiez-vous terminer bientôt cette malheureuse besogne ! Vous êtes législateur, guerrier, historien, poëte, musicien ; mais vous êtes aussi philosophe. Après avoir tracassé toute sa vie dans l’héroïsme et dans les arts, qu’emporte-t-on dans le tombeau ? Un vain nom qui ne nous appartient plus ; tout est affliction ou vanité[1] comme disait l’autre Salomon, qui n’était pas celui du Nord. À Sans-Souci, à Sans-Souci, le plus tôt que vous pourrez.

De Prades est donc un Doeg, un Achitophel ? Quoi ! il vous a trahi, quand vous l’accabliez de biens ! Ô meilleur des mondes possibles, où êtes-vous ! Je suis manichéen comme Martin[2].

Votre Majesté me reproche, dans ses très-jolis vers, de caresser quelquefois l’infâme[3] ; eh ! mon Dieu, non ; je ne travaille qu’à l’extirper, et j’y réussis beaucoup parmi les honnêtes gens. J’aurai l’honneur de vous envoyer dans peu un petit morceau qui ne sera pas indifférent.

Ah ! croyez-moi, sire, j’étais tout fait pour vous ; je suis honteux d’être plus heureux que vous, car je vis avec des philosophes, et vous n’avez autour de vous que d’excellents meurtriers en habits écourtés. À Sans-Souci, sire, à Sans-Souci ; mais qu’y fera votre diablesse d’imagination ? est-elle faite pour la retraite ? Oui, vous êtes fait pour tout.

  1. Ecclésiaste, iv, 16 ; i, 14 ; ii, 11 et 17.
  2. Dans Candide ; voyez tome XXI, page 184.
  3. Dans sa lettre à d’Alembert, du 28 novembre 1762, Voltaire explique ce qu’il entend par l’infâme.