Parme. Il s’était chargé d’une négociation avec M. le comte de La Marche, mon seigneur suzerain ; rien n’était plus convenable à un ministre. Je l’ai pressé de ne me point instruire de mes affaires ; mais je ne puis concevoir qu’il ne me parle pas d’une tragédie. Il faut qu’il ait quelque chose sur le cœur ; je vous prie de m’en éclaircir. Il m’aurait autrefois écrit des volumes sur une pièce de théâtre ; je ne conçois rien à son silence… Aimez toujours un peu le vieux Suisse.
Mon Parmesan m’écrit enfin, et m’envoie des volumes d’observations. Vraiment oui, il est bien question de cela ! Pense-t-il que depuis trois semaines je n’aie pas changé la pièce ? Gardons ce secret d’État, et amusons-nous.
Mon divin ange parmesan, je reçois enfin un mot de votre écriture céleste, et un volume de critiques de Scaliger, de la main de madame l’Envoyée de Parme[1]. Sa négociation ne sera pas difficile. Vous ne songez pas qu’il s’est passé trois semaines entre l’envoi de la chevalerie[2] et votre réponse ; et que, pendant trois semaines, il faut bien qu’une tragédie ait le temps de changer de visage : aussi en a-t-elle changé tous les jours. Je viens d’entrevoir quelques critiques auxquelles j’ai répondu, il y a plus de quinze jours, par des vers bons ou mauvais.
Quelque respect que j’aie pour ce barbare de grand homme Pierre Ier, je l’abandonne à tout moment pour mes chevaliers. Les terres me désolent, M. d’Espagnac[3] m’opprime, les fermiers généraux me tourmentent ; j’ai peu de foin ; et cependant il faut faire des tragédies et des histoires avec une santé déplorable. Mlle Fel a beau adoucir mes maux par son joli gosier, la tête va me tourner.
Mon cher ange, quelle différence de M. le duc de Choiseul à monsieur l’abbé[4] ! Cependant vous n’aviez point hébergé,
Alimenté, rasé, désaltéré, porté[5]
- ↑ Voilà pourquoi Voltaire donne à Mme d’Argental le nom de Mme Scaliger, dans de nombreuses lettres.
- ↑ Tancrède.
- ↑ De Sahuguet d’Espagnac, conseiller de grand’chambre depuis janvier 1737, et chef du conseil du comte de La Marche.
- ↑ L’abbé de Bernis. Il venait d’être créé cardinal (2 octobre 1758), lorsqu’il fut remplacé au département des affaires étrangères par le duc de Choiseul.
- ↑ Vers du Joueur, de Regnard, acte III, scène iv.