Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/136

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Je suppose que mes juges trouveront bon que les biens de Tancrède soient une dot que l’État donne à Orbassan pour son mariage ; ils verront sans doute que cette circonstance le rend plus odieux à Tancrède et à sa maîtresse ; ils seront convaincus qu’il serait inutile de parler de cette donation dans le conseil d’État, si ce n’était pas un des articles du mariage. Il ne faut pas, à la vérité, qu’Orbassan reproche au beau-père de s’y opposer ; mais il n’est peut-être pas mal qu’un autre chevalier fasse ce reproche au beau-père. J’aime assez ces contestations parmi des gens du temps passé, dont la politesse n’était pas la nôtre, et qui avaient plus de casques que de chemises.

Mes juges voient bien qu’à l’égard du billet porté par le balourd, quatre vers au plus suffiront pour graisser cette poulie.

Mes juges sentent que c’est une chose fort délicate de faire demander Aménaïde en mariage par un circoncis ; c’est bien assez que quelque brutal de chevalier dise qu’en effet il y a quelque Sarrasin qui a fait du bruit dans la ville, qu’il nomme même ce jeune mahométan, et qu’il fasse tomber sur lui tous les soupçons les plus vraisemblables.

Mes juges verront combien il est aisé à ce soldat, intime ami de Tancrède, de dire, au commencement du troisième acte, qu’il fit un tour à la ville, il y a deux jours, et qu’il y entendit murmurer du mariage d’Orbassan.

Mes juges savent qu’il suffit de quatre vers dans un endroit, et d’une douzaine dans un autre, pour expliquer ce qui n’est pas assez clair, et pour rendre l’intérêt plus touchant. Le commencement du cinquième acte, par exemple, avait besoin d’être retouché, et je crois actuellement la scène du père et de la fille beaucoup plus intéressante ; enfin il me paraît qu’on ne m’a prescrit que des choses aisées à faire.

J’avertis humblement que ces mots : ce billet adultère[1], ne révolteront point quand il n’y aura pas de petits-maîtres sur le théâtre ; ce n’est pas que je sois beaucoup attaché à ce mot, et qu’il ne soit très-facile d’en substituer un autre ; mais je le crois bon, et je le dis pour la décharge de ma conscience.

Vous avez grande raison, madame, de vous écrier, et de m’accuser de barbarie allobroge, sur


Ces beaux nœuds dont nos cœurs étaient joints, …
Dont on peut accuser ou vanter son courage.

  1. Il paraît que Voltaire a renoncé à cette expression, qui devait se trouver dans la scène ii de l’acte IV de Tancrède.