Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/144

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finances, et de Mlle Dubois[1] ; on dit grand bien de l’un et de l’autre. Je suis bien aise de voir un homme de lettres contrôleur général. Il a traduit un Warburton[2] qui vous démontre net que jamais les lois de Moïse n’ont laissé seulement soupçonner l’immortalité de l’âme. Il a traduit le Tout est bien[3], mais quand dirons-nous : Tout n’est pas mal ? Le génie de M. de Silhouette est anglais, calculateur, et courageux ; mais, si on nous prend des Guadeloupe, si ces maudits Anglais ont plus de vaisseaux que nous, et meilleurs ; si les frais de la visite qu’on veut leur rendre sont perdus ; si les dépenses immenses d’une guerre juste, mais ruineuse, absorbent les revenus de l’État, ni M. de Silhouette, ni Pope, n’y pourront suffire.

J’ai pris le parti de mettre une partie de ma fortune en terres ; le roi de Prusse ne les saccagera pas, et elles porteront toujours quelques grains. Les biens en papier dépendent de la fortune, ceux de la terre ne dépendent que de Dieu. Si vous gouvernez votre Launai, vous savez que cette occupation emporte un peu de temps ; mais avouez qu’on en perd à Paris bien davantage. Je conduis tout le détail de trois terres presque contiguës à mon ermitage des Délices ; j’ai l’insolence de bâtir un château dans le goût italien, nel gran gusto  ; cela n’empêchera pas, mon ancien ami, que vous n’ayez votre Pierre le Grand, et une tragédie d’un goût un peu nouveau.

Puisque Gresset a renoncé à embellir la scène, il faut bien que je la gâte. Je me damne, il est vrai ; cela est honteux à mon âge ; mais j’aime passionnément à me damner. Vous connaissez sans doute l’épigramme de Piron sur ce fanatique orgueilleux de Gresset. Qu’elle est jolie ! qu’elle est bien faite ! que l’insolent ex-jésuite est bien puni ! Et que dites-vous du révérend père Poignardini-Malagrida[4], qu’on prétend avoir été loyalement brûlé à Lisbonne ? Malheureusement ces nouvelles viennent des jansénistes. Qu’on les brûle ou qu’on les canonise, peu m’importe, à moi patriarche, qui ne connais plus que mes troupeaux, et qui ne suis point de leurs ouailles.

Savez-vous que le roi m’a donné de belles lettres patentes, par lesquelles mes terres sont conservées dans leurs anciens pri-

  1. Mlle Dubois, née vers 1741, débuta le 30 mai 1759, fut reçue en 1760, se retira en 1773, et mourut de la petite vérole en 1779, laissant, dit-on, vingt ou vingt-cinq mille livres de rente.
  2. Voyez la note, tome XXVI, page 396.
  3. Essai sur l’Homme, par Pope, traduit de l’anglais en français, 1736, in-12.
  4. Voyez tome XV, page 397.