Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/15

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public, à détester les grands, qui voudraient n’en reconnaître dans aucun genre, et qui se plaisent à bouleverser les têtes par des sophismes et par des paradoxes fatigants et ennuyeux ; il était bien éloigné de ces extravagances : c’était le plus sincère de vos admirateurs, et, je crois, un des plus éclairés. Mais, monsieur, pourquoi ne serait-il loué que par moi ? Quatre lignes de vous, soit en vers, soit en prose, honoreraient sa mémoire et seraient pour moi une vraie consolation.

Si vous êtes mort, comme vous le dites, il ne doit plus rester de doute sur l’immortalité de l’âme : jamais sur terre on n’eut tant d’âme que vous en avez dans le tombeau ! Je vous crois fort heureux. Me trompé-je ? Le pays où vous êtes semble avoir été fait pour vous : les gens qui l’habitent sont les vrais descendants d’Ismaël, ne servant ni Baal ni le Dieu d’Israël. On y estime et admire vos talents sans vous haïr ni vous persécuter. Vous jouissez encore d’un fort grand avantage, beaucoup d’opulence, qui vous rend indépendant de tout et vous donne la facilité de satisfaire vos goûts et vos fantaisies. Je trouve que personne n’a si habilement joué que vous : tous les hasards ne vous ont pas été heureux, mais vous avez su corriger les mauvais, et vous avez tiré un bien bon parti des favorables.

Enfin, monsieur, si votre santé est bonne, si vous jouissez des douceurs de l’amitié, le roi de Prusse a raison : vous êtes mille fois plus heureux que lui, malgré la gloire qui l’environne et la honte de ses ennemis.

Le président fait toute la consolation de ma vie ; mais il en fait aussi tout le tourment, par la crainte que j’ai de le perdre. Nous parlons de vous bien souvent. Vous êtes cruel de nous dire que vous ne nous reverrez jamais ! Jamais ! C’est effectivement le discours d’un mort ; mais, Dieu merci, vous êtes bien en vie, et je ne renonce point à l’espérance de vous revoir.

Je me rappelle peut-être un peu trop tard que vous avez été dégoûté d’entretenir un commerce de lettres avec moi ; la longueur de celle-ci va m’exposer aux mêmes inconvénients.

Adieu, monsieur. Personne n’a pour vous plus de goût, plus d’estime, plus d’amitié : il y a quarante ans que je pense de même.


3743. — À M.  ***[1].
Aux Délices, 5 de janvier.

Il n’est pas moins nécessaire, mon très-cher ami, de prêcher la tolérance chez vous que parmi nous. Vous ne sauriez justifier, ne vous en déplaise, les lois exclusives ou pénales des Anglais, des Danois, de la Suède, contre nous, sans autoriser nos lois contre vous. Elles sont toutes, je vous l’avoue, également absurdes, inhumaines, contraires à la bonne politique ; mais nous n’avons fait que vous imiter. Je n’ai pu, par vos lois, acheter un

  1. Nous donnons cette pièce dans la Correspondance, comme elle est dans les éditions de Kehl et de Beuchot.