Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/150

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Votre journal est le seul qu’il lise avec plaisir. Il pense absolument comme vous sur l’ex-jésuite dont vous lui parlez, à cela près qu’il ne le dit jamais : il voudrait fort avoir quelque pièce à vous communiquer, mais votre journal n’en a certainement pas, et d’ailleurs ce M.  Desmal est si gâté par ses voyages, et pense quelquefois d’une manière si hardie, que son frère le capitaine, tout lustig qu’il est du régiment, n’oserait pas faire imprimer ses rêveries à Zastrow, Il craint si terriblement de déplaire à la Sorbonne qu’il s’est fait maçon, laboureur et jardinier ; il gouverne ses terres et n’écrit point sur l’agriculture, comme font tant de gens qui n’ont jamais vu que les Tuileries et qui enseignent hardiment la multiplication du blé. À l’égard des pucelles, il est trop vieux pour s’en mêler, et il serait bien fâché de se brouiller avec saint Denis, pour la tête duquel il a toujours eu un respect vivement sincère.

Il vous fait ses très-humbles compliments, dans le goût d’un homme qui a voyagé avec Martin.


3886. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Döringsvorwerk, 18 juillet.

Vous êtes, en vérité, une singulière créature ; quand il me prend envie de vous gronder, vous me dites deux mots, et le reproche expire au bout de ma plume.


Avec l’heureux talent de plaire.
Tant d’art, de grâces, et d’esprit,
Lorsque sa malice m’aigrit,
Je pardonne tout à Voltaire,
Et sens que de mon cœur contrit
Il a désarmé la colère.


Voilà comme vous me traitez ! Pour votre nièce, qu’elle me brûle[1] ou me rôtisse, cela m’est assez indifférent. Ne pensez pas non plus que je sois aussi sensible que vous l’imaginez à ce que vos évêques en ic ou en ac[2] disent de moi. J’ai le sort de tous les acteurs qui jouent en public ; ils sont favorisés des uns et vilipendés des autres. Il faut se préparer à des satires, à des calomnies, et à une multitude de mensonges qu’on débite sur notre compte ; mais cela ne trouble en rien ma tranquillité. Je vais mon chemin ; je ne fais rien contre la voix intérieure de ma conscience, et je me soucie très-peu de quelle façon mes actions se peignent dans la cervelle d’êtres quelquefois très-peu pensants, à deux pieds, sans plumes.

  1. Voyez ci-dessus, la lettre 3851.
  2. Caveyrac ; voyez la lettre 3808.