Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/198

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et par sa conduite dans cette malheureuse bataille[1] ? L’armée n’a-t-elle pas repris un peu de vigueur ? Nous avons besoin de succès pour parvenir à une paix nécessaire. Je suis toujours étonné que le roi de Prusse se soutienne ; mais vous m’avouerez qu’il est dans un état pire que le nôtre. Chassé de Dresde et de la moitié au moins de ses États, entouré d’ennemis, battu par les Russes, et ne pouvant remplir son coffre-fort épuisé, il faudra probablement qu’il vienne faire des vers avec moi aux Délices, ou qu’il se retire en Angleterre, à moins que, par un nouveau miracle, il ne s’avise de battre toutes les armées qui l’environnent ; mais il paraît qu’on veut le miner, et non le combattre. En ce cas, le renard sera pris ; mais nous payons tous les frais de cette grande chasse. Je ne sais aucune nouvelle de Paris ni de Versailles, je ne connais presque plus personne dans ce pays-là. J’oublie, et je suis oublié. Le mot d’oubli, madame, n’est pas fait pour vous. Je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie. Le Silhouette, qui rogne les pensions, en a pris pour lui une assez forte[2]. Bravo.


3942. — À M.  DUPONT,
avocat.
6 octobre.

M.  le prince de Beaufremont, mon cher ami, a été un peu plus occupé de cette campagne des Hanovriens et des Hessois que des Goll ; cependant il n’a point négligé leurs affaires ; il a écrit à M.  le maréchal de Belle-Isle, lequel a recommandé tous les Goll à M.  l’intendant d’Alsace. J’ai eu l’insolence, moi qui vous parle, d’écrire aussi pour m’informer du résultat ; mais ce résultat n’est pas jusqu’à présent trop favorable à MM.  Goll. On dit qu’un Goll ne peut succéder à un catholique, et qu’un damné ne peut avoir la place d’un élu. Pour peu que cette affaire devienne matière de foi, ni vous ni moi n’y aurons grand crédit. Mon avis est qu’on attende un peu, et qu’on s’en remette à la Providence ; je tiens que voici un très-mauvais temps pour se ruiner en procès ; un troisième vingtième doit rendre les hommes sages. J’en parle en homme désintéressé, car toutes mes terres sont libres et ne payent rien. Je ne veux pourtant pas dire avec Lucrèce :


Suave mari magno, etc.

(Lib. II, v. i.)
  1. Celle de Minden, du 1er août précédent.
  2. Il s’était fait donner une pension viagère de 60, 000 francs, dont 20, 000 réversibles sur la tête de sa femme.