Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/237

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Par l’antechrist siégeant à Rome,
Ce Fabius, ce plaisant homme.
Qui sur sa tête réunit
De la vanité la plus folle
Le brillant et frôle symbole.
Commence à décamper de nuit.
Je n’ose dire qu’il s’enfuit :
Jusqu’ici sa pudeur nous cache
Cette attitude qui le fâche ;
Mais comptez sur moi ; nous verrons
Dans peu ses culs dodus et ronds,
Sans façon, sans tant de grimace,
Lorsque, plus pressés, ils courront
Sans honte nous montrer le revers de leur face.
Alors un certain duc[1], s’illustrant à jamais,
Sauvera l’empire français.
Sans capitaine, sans finance,
Sans Amérique, sans prudence,
Jusqu’en ses fondements sapé par les Anglais.
Couvrant tous ces objets d’un voile de prudence.
Et lâchant quelques mots remplis de complaisance.
Au genre humain rendra la paix.
Et moi, quittant l’harnais, et le casque, et l’épée,
De trop de sang humain trempée,
Je partirai soudain d’ici :
J’irai, consolant ma vieillesse
Par l’étude de la sagesse,
M’ensevelir à Sans-Souci.


Ce lieu me vaut les Délices. Par illusion, je croirai vivre hors le grand monde, et quelquefois j’y serai solitaire.

Jouissez de votre ermitage. Ne troublez pas les cendres de ceux qui reposent au tombeau ; que la mort au moins mette fin à vos injustes haines. Pensez que les rois, après s’être longtemps battus, font enfin la paix ; ne pourrez-vous jamais la faire ? Je crois que vous seriez capable, comme Orphée, de descendre aux enfers, non pas pour fléchir Pluton, non pas pour ramener la belle Émilie[2], mais pour poursuivre dans ce séjour de douleur un ennemi[3] que votre rancune n’a que trop persécuté dans ce monde. Sacrifiez-moi votre vengeance, ou plutôt immolez-la à votre réputation ; que le plus grand génie de la France soit aussi l’homme le plus généreux de sa nation. La vertu, votre devoir, vous parlent par ma bouche ; n’y soyez pas insensible, et faites une action digne des belles maximes que vous débitez avec tant d’élégance et de force dans vos ouvrages.

Nous touchons à la fin de notre campagne ; elle sera bonne, et je vous écrirai dans une huitaine de jours, de Dresde, avec plus de tranquillité et de suite qu’à présent.

  1. Le duc de Choiseul, que Frédéric détestait royalement.
  2. La marquise du Châtelet.
  3. Maupertuis, mort à Bâle le 27 juillet précédent.