Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/236

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Ce temps heureux, c’est bien dommage.
Loin de moi s’est précipité ;
Et les eaux du fleuve Léthé
En ont même effacé l’image.
La tendre fleur du pucelage,
Ni l’empire de la beauté,
Sur un vieillard courbé, voûté,
Ne gagnent qu’un faible avantage.
Le conseil de la chasteté
Devient par force mon partage ;
Continence est nécessité :
À cinquante ans on est trop sage.

Cependant, pour vous révéler
Des maux que je devrais celer,
Je souffre d’un cruel supplice :
Trois grands mois passés, j’eus l’honneur
De recevoir, pour mon malheur,
D’une certaine impératrice
Une brûlante ch… ;
Ces lauriers sont pour les amants
Dont la folle ardeur de leurs flammes
Mesure, par trop imprudents,
Leur peu de force avec les femmes[1].


Je n’ai point eu, cette campagne-ci, de vision béatifique dans le goût de celle de Moïse. Les barbares Cosaques et Tartares, gens infâmes, à considérer en tout sens, ont brûlé et ravagé des contrées, et commis des inhumanités atroces. Voilà tout ce que j’ai vu d’eux. Ces tristes spectacles ne mettent pas de bonne humeur.


      La Fortune, inconstante et fière,
      Ne traite pas ses courtisans
      Toujours d’une égale manière.
Ces fous nommés héros, et qui courent les champs,
      Couverts de sang et de poussière,
      Voltaire, n’ont pas, tous les ans,
      La faveur de voir le derrière[2]
      De leurs ennemis insolents.
Pour les humilier, la quinteuse déesse
Quelquefois les oblige eux-même à le montrer :
Oui, nous l’avons tourné, dans un jour[3] de détresse ;
      Les Russes ont pu s’y mirer.
Cette glace pour eux n’a point été traîtresse ;
      On les a vus, pleins d’allégresse.
      S’y pavaner et s’admirer.
      Voilà le sort de ma vieillesse !
      Cependant cet homme bénit[4]

  1. Ces onze derniers vers avaient été omis par Beuchot.
  2. Voyez le second vers de la lettre 3838.
  3. Le 12 août, à Kunnersdorff.
  4. Daun ; vovez une note de la lettre 3882.