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Le roi de Prusse me mande du 17 novembre que, dans trois jours, il m’écrira de Dresde, et le troisième jour il est détruit[1]. Bel et grand exemple ! J’attends vos ordres pour Tournay. Pardon, le papier se trouve coupé. Je ne sais ce que je fais, tant j’ai (je n’ose pas dire) de plaisir. V,


3990. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
3 décembre.

Je ne vous ai point dépêché, madame, ce vieux chant de la Pucelle que le roi de Prusse m’a renvoyé : unique restitution qu’il ait faite en sa vie. Les plaisanteries ne m’ont pas paru de saison ; il faut que les lettres et les vers arrivent du moins à propos. Je suis persuadé qu’ils seraient mal reçus immédiatement après la lecture de quelque arrêt du conseil qui vous ôterait la moitié de votre bien, et je crains toujours qu’on ne se trouve dans ce cas. Je ne conçois pas non plus comment on a le front de donner à Paris des pièces nouvelles : cela n’est pardonnable qu’à moi, dans mon enceinte des Alpes et du mont Jura. Il m’est permis de faire construire un petit théâtre, de jouer avec mes amis et devant mes amis ; mais je ne voudrais pas me hasarder dans Paris avec des gens de mauvaise humeur. Je voudrais que l’assemblée fût composée d’âmes plus contentes et plus tranquilles. D’ailleurs vous m’apprenez que les personnes qui ont du goût ne vont plus guère aux spectacles, et je ne sais si le goût n’est point changé, comme tout le reste, dans ceux qui les fréquentent. Je ne reconnais plus la France ni sur terre, ni sur mer, ni en vers, ni en prose.

Vous me demandez ce que vous pouvez lire d’intéressant ; madame, lisez les gazettes : tout y est surprenant comme dans un roman. On y voit des vaisseaux chargés de jésuites[2], et on ne se lasse point d’admirer qu’ils ne soient encore chassés que d’un seul royaume ; on y voit les Français battus dans les quatre parties du monde, le marquis de Brandebourg faisant tête tout seul à quatre grands royaumes armés contre lui, nos ministres dégringolant l’un après l’autre comme les personnages de la lanterne magique, nos bateaux plats, nos descentes dans la rivière de la Vilaine. Une récapitulation de tout cela pourrait composer un volume qui ne serait pas gai, mais qui occuperait l’imagination,

  1. Victoire de Maxen, où douze mille Prussiens posèrent les armes devant le maréchal Daun (26 novembre 1759).
  2. Voyez une note de la lettre 3979.