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peut-être des sottises sur terre. Plaisante saison pour mettre un héros français sur le théâtre !

M. le duc de La Vallière a donc fait l’histoire chronologique de l’Opéra : c’est quelque chose ; il y a encore du génie en France.

Je vous adore.


4081. — À M. DE CIDEVILLE.
Aux Délices, 28 mars.

Il faut que vous sachiez, mon ancien ami, que Mme Denis me dit depuis un mois : « J’écris demain à M. de Cideville, » et que je dois mettre quelques lignes au bas des siennes. Je suis las d’attendre les femmes, et j’écris enfin de mon chef, car je suis honteux de ne vous avoir point écrit[1] depuis que vous me fîtes tant rire du puant marquis[2], et que vous me rendîtes de bons offices auprès de sa ladre personne.

Je reçois quelquefois une lettre du grand abbé[3] en douze mois ; je suis peu instruit de vos marches, et fort incertain si vous êtes dans le plat tumulte de Paris, ou si vous jouissez des douceurs de la retraite. Que vous avez bien fait de conserver cette terre[4] qu’on dit mériter bien mieux le nom de Délices que mes Délices ! Plus on avance dans sa carrière, et plus on est convaincu que l’on n’est bien que chez soi. Pour moi, je vous répète que je ne date ma vie que du jour où je me suis enterré. Ce n’est pas que je ne sois assez au fait de ce qui se passe. Je vois tous les orages, mais je les vois du port ; et je vous assure que mon port est bien joli et bien abrité.

Je souhaiterais à mes amis des terres indépendantes et libres comme les miennes. On paye assez en France. Il est doux de n’avoir rien à payer dans ses possessions. Figurez-vous ce que c’est à présent que d’avoir des terres en Saxe, en Poméranie, en Prusse, en Silésie ; c’est bien pis que le troisième vingtième.

Vous avez lu, sans doute, les Poésies du philosophe de Sans-Souci, qu’on soupçonne de n’être ni sans souci, ni philosophe. Je suis aussi honteux de tous les vers qui m’appartiennent dans ses Œuvres que fâché de ses œuvres guerrières. Jamais poëte n’a fait verser tant de sang ; Tyrtée et Denys n’étaient que des

  1. La dernière lettre de Voltaire à Cideville était celle du 29 juin 1759.
  2. Ango de La Motte-Lézeau.
  3. L’abbé du Resnel, qui mourut un an plus tard.
  4. Celle de Launai.