Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/376

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sages. La persécution éclate de tous côtés dans Paris ; les jansénistes et les jésuites se joignent pour égorger la raison, et se battent entre eux pour les dépouilles. Je vous avoue que je suis aussi en colère contre les philosophes qui se laissent faire que contre les marauds qui les oppriment. Puisque je suis en train de me fâcher, je passe à Luc ; il fait le plongeon, il désavoue ses Œuvres, il les fait imprimer tronquées[1] : cela est bien plat, quand on a cent mille hommes ; mais cet homme-là sera toujours incompréhensible. Il m’envoie tous les huit jours des paquets les plus outrecuidants, les plus terribles, de vers et de prose : des choses à faire coffrer le receveur, si le receveur était à Paris ; et il ne m’envoie point l’épître[2] qu’il vous a adressée, qui est, dit-on, son meilleur ouvrage. Il ne sait pas trop ce qu’il veut, et sait encore moins ce qu’il deviendra. Il serait bien à souhaiter qu’il se mît à devenir sage ; il eût été le plus heureux des hommes s’il avait voulu, et il valait cent fois mieux être le protecteur de la philosophie que le perturbateur de l’Europe. Il a manqué une belle vocation : vous devriez bien lui en dire deux mots, vous qui savez écrire, et qui osez écrire. Il est très-faux que l’abbé de Prades l’ait trahi ; il écrivait seulement au ministre de France pour avoir la permission de faire un voyage en France, et cela dans un temps où nous n’étions pas en guerre avec le Brandebourg. S’il avait en effet tramé une trahison contre son bienfaiteur, soyez très-persuadé qu’on ne se serait pas borné à lui donner un appartement dans la citadelle de Magdebourg.

Vous savez que Darget a mieux aimé un petit emploi subalterne à Paris que deux mille écus de gages, et le magnifique titre de secrétaire. Algarotti a préféré sa liberté à trois mille écus de gages, je dis trois mille écus d’empire. Vous savez que Chazot a pris le même parti ; vous savez que Maupertuis, pour s’étourdir, s’était mis à boire de l’eau-de-vie[3], et en est mort. Vous savez bien d’autres choses ; vous savez surtout que vous n’avez une pension de cinquante louis que comme un hameçon. Faites vos

  1. Voyez lettres 4105 et 4136.
  2. Il l’envoya le 1er mai ; voyez lettre 4112.
  3. Voici un billet adressé par Frédéric à Maupertuis, pendant que ce dernier était encore à Berlin : « Je vous envoie le sieur Cothenius, un des plus grands charlatans de ce pays. Il a eu le bonheur de réussir quelquefois, par hasard, et je souhaite qu’il ait le même sort avec vous. Il vous ordonnera bien des remèdes ; pour moi, je ne vous défends que les liqueurs : mais je vous les défends entièrement. » — Ce charlatan, médecin de Frédéric, est nommé Codénius, dans la lettre 2488.