Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/418

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vent : car enfin j’ai été le premier qui aie écrit en forme en faveur de l’attraction, et contre les grands tourbillons de Descartes, et contre les petits tourbillons de Malebranche ; et je défie les plus ignorants, et jusqu’à Fréron lui-même, de prouver que j’ai falsifié en rien la philosophie newtonienne. La Société de Londres a approuvé mon petit catéchisme d’attraction. Je me tiens donc comme très-coupable de philosophie.

Si j’avais de la vanité, je me croirais encore plus criminel, sur le rapport d’un gros livre intitulé l’Oracle des nouveaux philosophes[1], lequel est parvenu jusque dans ma retraite. Cet oracle, ne vous déplaise, c’est moi. Il y aurait là de quoi crever de vaine gloire ; mais malheureusement ma vanité a été bien rabattue quand j’ai vu que l’auteur de l’Oracle prétend avoir plusieurs fois dîné chez moi, près de Lausanne, dans un château que je n’ai jamais eu. Il dit que je l’ai très-bien reçu, et, pour récompense de cette bonne réception, il apprend au public tous les aveux secrets qu’il prétend que je lui ai faits.

Je lui ai avoué, par exemple, que j’avais été chez le roi de Prusse pour y établir la religion chinoise ; ainsi me voilà pour le moins de la secte de Confucius. Je serais donc très en droit de prendre ma part aux injures qu’on dit aux philosophes.

J’ai avoué de plus à l’auteur de l’Oracle que le roi de Prusse m’a chassé de chez lui, chose très-possible, mais très-fausse, et sur laquelle cet honnête homme en a menti.

Je lui ai encore avoué que je ne suis point attaché à la France, dans le temps que le roi me comble de ses grâces, me conserve la place de gentilhomme ordinaire, et daigne favoriser mes terres des plus grands privilèges. Enfin j’ai fait tous ces aveux à ce digne homme, pour être compté parmi les philosophes.

J’ai trempé de plus dans la cabale infernale de l’Encyclopédie ; il y a au moins une douzaine d’articles de moi imprimés dans les trois derniers volumes. J’en avais préparé pour les suivants une douzaine d’autres qui auraient corrompu la nation, et qui auraient bouleversé tous les ordres de l’État.

Je suis encore des premiers qui aient employé fréquemment ce vilain mot d’humanité, contre lequel vous avez fait une si brave sortie dans votre comédie. Si, après cela, on ne veut pas m’accorder le nom de philosophe, c’est l’injustice du monde la plus criante.

Voilà, monsieur, pour ce qui me regarde. Quant aux per-

  1. Voyez tome XXV, page 585, et XXVI, 157.