Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/420

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c’est surtout le livre d’un honnête homme[1]. En un mot, ces messieurs vous ont-ils publiquement offensé ? Il me semble que non. Pourquoi donc les offensez-vous si cruellement ?

Je ne connais point du tout M. Diderot ; je ne l’ai jamais vu ; je sais seulement qu’il a été malheureux et persécuté : cette seule raison devait vous faire tomber la plume des mains. Je regarde d’ailleurs l’entreprise de l’Encyclopédie comme le plus beau monument qu’on pût élever à l’honneur des sciences ; il y a des articles admirables, non-seulement de M. d’Alembert, de M. Diderot, de M. le chevalier de Jaucourt, mais de plusieurs autres personnes, qui, sans aucun motif de gloire ou d’intérêt, se font un plaisir de travailler à cet ouvrage.

Il y a des articles pitoyables sans doute, et les miens pourraient bien être du nombre ; mais le bon l’emporte si prodigieusement sur le mauvais que toute l’Europe désire la continuation de l’Encyclopédie. On a traduit déjà les premiers volumes en plusieurs langues ; pourquoi donc jouer sur le théâtre un ouvrage devenu nécessaire à l’instruction des hommes et à la gloire de la nation ?

J’avoue que je ne reviens point d’étonnement de ce que vous me mandez sur M. Diderot. Il a, dites-vous, imprimé deux libelles contre deux dames du plus haut rang[2], qui sont vos bienfaitrices. Vous avez vu son aveu signé de sa main. Si cela est, je n’ai plus rien à dire ; je tombe des nues, je renonce à la philosophie, aux philosophes, à tous les livres, et je ne veux plus penser qu’à ma charrue et à mon semoir.

Mais permettez-moi de vous demander très-instamment des preuves ; souffrez que j’écrive aux amis de ces dames. Je veux absolument savoir si je dois mettre ou non le feu à ma bibliothèque.

Mais si Diderot a été assez abandonné de Dieu pour outrager deux dames respectables, et, qui plus est, très-belles, vous ont-elles chargé de les venger ? Les autres personnes que vous produisez sur le théâtre avaient-elles eu la grossièreté de manquer de respect à ces deux dames ?

Sans jamais avoir vu M. Diderot, sans trouver le Père de famille plaisant, j’ai toujours respecté ses profondes connaissances ; et, à la tête de ce Père de famille, il y a une épitre à Mme la princesse

  1. On attribue ce mot à Louis XV. (B.)
  2. Mmes de Robecq et de La Marck ; mais voyez la note 1 sur la lettre 4142, page 406.