Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/435

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l’enverrai ; si j’en suis mécontent, je le jetterai au feu. Bonne volonté et imagination sont deux choses fort différentes ; la terre devient stérile à force d’avoir porté. Si le terrain de Tancrède et de Médime est devenu ingrat, je vous supplie de pardonner au pauvre laboureur.

Il serait pourtant plaisant de présenter la Requête[1] aux Parisiens la veille de l’Écossaise. Il me paraît qu’un homme qui prétend que la pièce n’est pas anglaise, parce que le bruit a couru qu’il avait été aux galères, est une des bonnes choses, des plus comiques qu’on connaisse.

Mon cher ange, vous êtes le maître du tout, et du tragique, et du comique, et surtout de moi, qui suis tantôt l’un, tantôt l’autre, fort à votre service. Mais je pense que vous vous moquez un peu de moi quand vous me dites de proposer à M. le duc de Choiseul l’entrée de M. Diderot[2] à notre Académie ; c’est bien à vous, s’il vous plaît, à rompre cette glace. Qui donc est plus à portée que vous de faire sentir à M. le duc de Choiseul que tous les gens de lettres le béniront ? Qui est plus en droit de lui dire qu’il est important pour lui de faire sentir au public qu’il n’a point persécuté les philosophes ? Je n’ai aucuns droits sur M. le duc de Choiseul, et vous les avez tous : ceux de l’amitié, de la persuasion, de la bienséance, de l’à-propos. On pourrait engager Diderot à désavouer les petits ouvrages qui pourraient lui fermer les portes de l’Académie. Nous avons besoin, dans cette place, d’un homme de lettres ; tout parle en sa faveur, et, quand même il ne réussirait pas, ce serait toujours un grand point de gagné d’avoir été sur les rangs dans les circonstances présentes. Enfin vous aimez Diderot et la bonne cause ; c’est à vous à les protéger.

J’ai une autre grâce à vous demander. Je vous conjure de ne vous jamais servir de votre éloquence auprès de M. le duc de Choiseul en faveur d’un homme qui lui a manqué personnellement et indignement. Quoi ! on renoncerait à ses engagements dans la seule idée de soutenir… Ici l’auteur s’embarrasse, et ne peut dicter. Il faut, tout malingre qu’il est, qu’il écrive… Oui, de soutenir un homme qui, dans quatre ans, peut se joindre contre nous avec l’Autriche si on lui offre quatre lieues de pays de plus vers le duché de Clèves ! Songez, je vous prie, à ce qui arriverait de nous si Luc avait joint cent cinquante mille hommes à l’armée de la reine de Hongrie, il y a dix ans.

  1. Voyez tome V, page 413.
  2. Diderot n’est point entré à l’Académie française.