Je sais mieux que personne ce qui se passe à Paris et à Versailles, au sujet des philosophes. Si on se divise, si on a de petites faiblesses, on est perdu ; l’infâme et les infâmes triompheront. Les philosophes seraient-ils assez bêtes pour tomber dans le piège qu’on leur tend ? Soyez le lien qui doit unir ces pauvres persécutés.
Jean-Jacques aurait pu servir dans la guerre ; mais la tête lui a tourné absolument. Il vient de m’écrire une lettre dans laquelle il me dit que j’ai perdu Genève. En me parlant de M. Grimm, il l’appelle un Allemand nomme Grimm[1]. Il dit que je suis cause qu’il sera jeté à la voirie, quand il mourra, tandis que moi je serai enterré honorablement.
Que voulez-vous que je vous dise, madame ? Il est déjà mort ; mais recommandez aux vivants d’être dans la plus grande union.
Je me fais anathème pour l’amour des persécutés ; mais il faut qu’ils soient plus adroits qu’ils ne sont : l’impertinence contre Mme de Robecq, la sottise[2] de lui avoir envoyé la Vision, la barbarie de lui avoir appris qu’elle était frappée à mort, sont un coup terrible qu’on a bien de la peine à guérir ; on le guérira pourtant, et je ne désespère de rien si on veut s’entendre.
Je me mets à vos pieds, ma belle philosophe.
Mon cher ange, ce pauvre Carré se recommande à vos bontés. Fréron s’oppose à la représentation de sa pièce, sous prétexte qu’on l’a, dit-il, appelé quelquefois Frelon. Quelle chicane ! Ne sera-t-il permis qu’à l’illustre Palissot de jouer d’honnêtes gens ?
Jérôme Carré croit que si sa Requête à messieurs les Parisiens paraissait quelques jours[3] avant l’Écossaise, messieurs les Parisiens seraient bien disposés en sa faveur.
Je reçois votre lettre du 9 ; je suis dans mon lit, entouré de cent paquets. On me presse pour le czar Pierre Ier ; les philosophes me font enrager : ils ne savent ce qu’ils font, ils sont désunis. J’aimerais mieux avoir affaire à des filles de chœur d’opéra qu’à des philosophes : elles entendraient mieux raison.