Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/484

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pas effleuré l’épiderme. J’ai été à une représentation de cette pièce, je l’ai lue une fois ; j’ai dit très-naturellement que je n’en étais pas contente, et qu’à la place des philosophes j’aurais beaucoup plus de mépris que d’indignation contre un tel ouvrage. Si cela ne paraît pas suffisant, et s’il faut crier tolle contre leurs ennemis, j’avoue que je n’ai point pris ce parti, et que je me trouverais très-ridicule d’élever ma voix pour ou contre aucun parti ; il n’y a que l’amitié qui puisse engager dans ces sortes de querelles. Il y a quelques années, j’en conviens, que l’amitié m’aurait peut-être fait faire beaucoup d’imprudences ; mais pour aujourd’hui, je verrais avec indifférence la guerre des dieux et des géants, à plus forte raison celle des rats et des grenouilles ; je lis ce qui s’écrit pour ou contre. Il y a quelques articles de Fréron qui m’ont assez divertie ; le mot Encyclopédie, par exemple, qui est, je crois, dans sa quinzième feuille, m’a paru assez plaisant ; j’aime mieux son style que celui de l’abbé Desfontaines. Voilà l’aveu de tous mes crimes, j’attends votre ego te absolvo. Je finis ce long article par vous dire que je suis bien sûre que si j’étais avec vous je serais toujours de votre avis, sans que ce fût par la soumission et la déférence qui est due à votre esprit et à vos lumières.

Ah ! mon Dieu, monsieur, que je serais aise de passer ma vie aux Délices ! Si c’est la philosophie qui donne le dégoût du monde, je suis une grande philosophe. Rien ne me retient ici, et je n’ai pour y rester d’autres raisons que celle de la chèvre : où elle est attachée, il faut qu’elle broute. Cependant si je n’étais pas aveugle, j’irais certainement vous voir ; il n’y a rien au monde qui me fît autant de plaisir que d’être avec vous. J’aurais grand besoin de M.  Tronchin, si la vie m’était plus chère ; mais ce serait une folie à moi de chercher à la prolonger. Eh, mon Dieu, pourquoi ? pour éprouver de nouveaux malheurs. Je me contente de rendre les moments présents supportables : je vis avec plusieurs personnes aimables, qui ont de l’humanité, de la compassion ; il en résulte l’apparence de l’amitié ; je m’en contente, j’écarte la tristesse autant qu’il m’est possible, je me livre à toutes les dissipations qui se présentent ; enfin, à tout prendre, je suis moins malheureuse que je ne devrais l’être. Vous ne seriez pas mécontent de moi, si je vous rendais compte de ma façon de penser, et ce serait un grand plaisir que j’aurais. Mais ne nous retrouverons-nous jamais ensemble, monsieur ? Cette absence éternelle, ainsi que la perte de mon ami, sont deux malheurs irréparables, et dont je ne me consolerai jamais. Écrivez-moi souvent, et envoyez-moi tout ce que vous ferez. Qu’est-ce que c’est que la sœur du Pot, dont tout le monde parle et que personne n’a vue ?


4199. — À MADAME D’ÉPINAI.
24 juillet.

Si vous ne m’avez point répondu, madame, sur l’honneur que je veux que M.  Diderot fasse à l’Académie, vous avez tort ; si vous m’avez écrit, votre lettre est en chemin. En attendant qu’elle m’apprenne ce que je dois penser, je pense qu’il faut absolument