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à propos de perdrix, ne voilà-t-il pas le duc de La Vallière qui m’envoie des œufs de perdrix, entendez-vous ! Nous n’avons aux Délices que des colimaçons, aux domaines de Ferney-Tournay, que Choudens, Déodati, Poncet, Burdet, etc., etc. ; que des renards, des loups et des curés. Je veux peupler mes terres d’hommes et de perdrix.

On dit qu’à présent le prince Henri de Prusse donne force passeports à l’armée d’exécution très-exécutée. Luc est toujours à Landshut, et, sans se mouvoir, fait tout mouvoir. Les Russes arrivent enfin en Poméranie. On parle d’une bataille entre eux et les Prussiens. Le roi de Prusse m’écrit qu’il compte sur cette bataille. Il a trouvé une Jeanne d’Arc qui marche, au nom de Dieu, à la tête des troupes. Nous verrons si les Russes la feront brûler.


3799. — DE MADAME DENIS À L’ABBÉ ***[1]
Ce 6 mars 1759, des Délices.

Vous m’avez fait grand plaisir, monsieur, de me donner de vos nouvelles. Je voudrais que votre santé vous permit, dans la belle saison, de faire un tour aux Délices. En venant dans votre chaise de poste doucement, vers le mois de mai ou juin, croyez-vous que cela vous ferait du mal, et ne penseriez-vous pas que quelque conférence avec le grand Tronchin ne pourrait pas vous être utile dans le courant de votre vie, surtout après les maux dont vous avez été menacé ? Je ne suis pas enthousiaste de Tronchin. Il y a cinq ans que je le vois manœuvrer, en l’examinant pas à pas, sans prévention. Je ne le crois pas meilleur que nos Dumoulin, Chirac et autres, pour les maladies aiguës. Il en guérit et il en meurt entre ses mains. Mais, pour ce qui se nomme maladie chronique, comme hydropisie, scorbut, obstructions, révoluticus du sang et autres maux où les médecins n’entendent rien, j’ose dire qu’il a une supériorité si marquée, une sagacité et une connaissance si fort au-dessus de ses confrères, que je ne puis m’empêcher de l’admirer et de désirer que mes amis soient à portée de le consulter. Faites bien vos réflexions sur cela, monsieur, et croyez que je suis bien fondée sur ce que je vous dis. Je ne vous parle point du plaisir extrême que j’aurais de vous voir, de l’extrême envie que j’ai de causer avec vous, du chagrin que votre absence me cause sans cesse ; je ne veux pas que ces considérations, en vous déterminant, puissent vous causer la moindre gêne et la plus petite fatigue ; mais je veux très-sérieusement que vous cherchiez à prolonger vos jours, et qu’ensuite vous m’aimiez beaucoup, parce que je vous suis tendrement attachée pour ma vie.

Nous avons passé l’hiver assez solitairement aux Délices, c’est-à-dire

  1. Éditeurs, Bavoux et François.