Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/121

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J’ai su dès longtemps que les principaux seigneurs de vos belles villes d’Italie se rassemblent souvent pour représenter, sur des théâtres élevés avec goût, tantôt des ouvrages dramatiques italiens, tantôt même les nôtres. C’est aussi ce qu’ont fait quelquefois les princes des maisons les plus augustes et les plus puissantes ; c’est ce que l’esprit humain a jamais inventé de plus noble et de plus utile pour former les mœurs et pour les polir ; c’est là le chef-d’œuvre de la société : car, monsieur, pendant que le commun des hommes est obligé de travailler aux arts mécaniques, et que leur temps est heureusement occupé, les grands et les riches ont le malheur d’être abandonnés à eux-mêmes, à l’ennui inséparable de l’oisiveté, au jeu, plus funeste que l’ennui, aux petites factions, plus dangereuses que le jeu et que l’oisiveté.

Vous êtes, monsieur, un de ceux qui ont rendu le plus de services à l’esprit humain dans votre ville de Bologne, cette mère des sciences. Vous avez représenté à la campagne, sur le théâtre de votre palais, plus d’une de nos pièces françaises, élégamment traduites en vers italiens ; vous daignez traduire actuellement la tragédie de Tancrède[1] ; et moi, qui vous imite de loin, j’aurai bientôt le plaisir de voir représenter chez moi la traduction d’une pièce de votre célèbre Goldoni, que j’ai nommé et que je nommerai toujours le peintre de la nature. Digne réformateur de la comédie italienne, il en a banni les farces insipides, les sottises grossières, lorsque nous les avions adoptées sur quelques théâtres de Paris. Une chose m’a frappé surtout dans les pièces de ce génie fécond : c’est qu’elles finissent toutes par une moralité qui rappelle le sujet et l’intrigue de la pièce, et qui prouve que ce sujet et cette intrigue sont faits pour rendre les hommes plus sages et plus gens de bien.

Qu’est-ce en effet que la vraie comédie ? C’est l’art d’enseigner la vertu et les bienséances en action et en dialogues. Que l’éloquence du monologue est froide en comparaison ! A-t-on jamais retenu une seule phrase de trente ou quarante mille discours moraux ? et ne sait-on pas par cœur ces sentences admirables, placées avec art dans les dialogues intéressants :


Homo sum : humani nihil a me alienum puto[2].

  1. Cette tragédie fut traduite en italien par l’un des amis d’Albergati, le comte Paradisi.
  2. Térence, Heautontimoroumenos.