Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Apprime in vita esse utile, ut ne quid nimis[1].
Natura tu illi pater es, consiliis ego, etc[2].


C’est ce qui fait un des grands mérites de Térence ; c’est celui de nos bonnes tragédies, de nos bonnes comédies. Elles n’ont pas produit une admiration stérile ; elles ont souvent corrigé les hommes. J’ai vu un prince pardonner une injure après une représentation de la Clémence d’Auguste[3]. Une princesse, qui avait méprisé sa mère, alla se jeter à ses pieds en sortant de la scène où Rhodope demande pardon à sa mère. Un homme connu se raccommoda avec sa femme, en voyant le Préjugé à la mode. J’ai vu l’homme du monde le plus fier devenir modeste après la comédie du Glorieux ; et je pourrais citer plus de six fils de famille que la comédie de l’Enfant prodigue a corrigés. Si les financiers ne sont plus grossiers, si les gens de cour ne sont plus de vains petits-maîtres, si les médecins ont abjuré la robe, le bonnet, et les consultations en latin ; si quelques pédants sont devenus hommes, à qui en a-t-on l’obligation ? Au théâtre, au seul théâtre.

Quelle pitié ne doit-on donc pas avoir de ceux qui s’élèvent contre ce premier art de la littérature, qui s’imaginent qu’on doit juger du théâtre d’aujourd’hui par les tréteaux de nos siècles d’ignorance, et qui confondent les Sophocle et les Ménandre, les Varius et les Térence, avec les Tabarin et les Polichinelle !

Mais que ceux-là sont encore plus à plaindre, qui admettent les Polichinelle et les Tabarin, et qui rejettent les Polyeucte, les Athalie, les Zaïre, et les Alzire ! Ce sont là de ces contradictions où l’esprit humain tombe tous les jours.

Pardonnons aux sourds qui parlent contre la musique, aux aveugles qui haïssent la beauté : ce sont moins des ennemis de la société, conjurés pour en détruire la consolation et le charme, que des malheureux à qui la nature a refusé des organes.

Nos vero dulces teneant ante omnia Musæ.

(Virg., Georg., lib. II, v. 475.)

J’ai eu le plaisir de voir chez moi, à la campagne, représenter Alzire, cette tragédie où le christianisme et les droits de l’huma-

  1. Térence, Andrienne.
  2. Id., les Adelphes.
  3. Cinna. — Le prince dont il s’agit ici était probablement Frédéric II ; mais quand celui-ci accorda une espèce de grâce au pauvre Franc-Comtois cité par Voltaire dans ses Mémoires, ce fut après une représentation de la Clemenza di Tito, opéra de Métastase. (Cl.)