Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/156

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Qu’ils viennent comme moi sur la frontière, ils changeront bien d’avis ; ils verront combien il est nécessaire de faire respecter le roi et l’État. Par ma foi, on voit les choses tout de travers à Paris.

Vous verrez bientôt une très-singulière Épître[1] à Clairon. Je la loue comme elle le mérite ; je fais l’éloge du roi, et c’est mon cœur qui le fait ; je me moque de tout le reste, et même assez violemment. J’ai souffert trop longtemps ; je deviens Minos dans ma vieillesse, je punis les méchants.

P. S. Je suis bien content de l’acquisition de Mlle  Corneille : elle fait jusqu’à présent l’agrément de notre maison. Il est honteux pour la France que quelque grande dame ne l’ait pas prise auprès d’elle.

Nota bene que le saint abbé Grizel[2] n’a point volé Mme  d’Egmont, mais bien M.  de Tourny. Gardez-vous d’induire les commentateurs en erreur.


4415. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Ferney, 13 janvier.

Pardon, madame, pardon : j’ai eu des jésuites à chasser d’un bien qu’ils avaient usurpé sur des gentilshommes de mon voisinage ; j’ai eu un curé à faire condamner. Ces bonnes œuvres ont pris mon temps. Je commence à espérer beaucoup de la France sur terre, car sur mer je l’abandonne. On paye les rentes, on éteint quelques dettes. Il y a de l’ordre, malgré toutes nos énormes sottises. J’ai peine à croire qu’on ôte le commandement à M.  le maréchal de Broglie. Il me semble qu’il s’est très-bien conduit en conservant Gœttingue.

Avez-vous, madame, M.  le comte de Lutzelbourg auprès de vous ? Comment vous trouvez-vous du vent du nord ? C’est, je crois, votre seul ennemi. Songez, madame, que l’hiver de la vie, qui est si dur, si désagréable pour tant de personnes, et auquel même il est si rare d’arriver, est pour vous une saison qui a encore des fleurs. Vous avez la santé du corps et de l’esprit. Il est vrai que vous écrivez comme un chat ; mais dans vos plus beaux jours vous n’eûtes jamais une plus belle main. Voyez-vous quelquefois M.  de Lucé[3] ? Seriez-vous assez bonne, madame, pour me rappeler à son souvenir ?

  1. L’Épître à Daphné : voyez tome X.
  2. Voyez l’avant-dernier alinéa de la lettre 4395.
  3. Ministre du roi de France auprès de Stanislas. Le comte de Lucé fut un des membres honoraires de l’Académie de Nancy.