Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleurer qu’aux tragédies ! Les miens pleurent d’une absence qu’un parti triste, mais sagement pris, rend éternelle.

Une autre fois je vous parlerai du Droit du Seigneur ; je ne peux vous parler aujourd’hui que des justes droits que vous avez sur mon âme.

Je suis malingre ; j’ai dicté, et peut-être avec mauvaise humeur : excusez un vieillard vert.


4439. — À M. LE BRUN.
Au château de Ferney, pays de Gex en Bourgogne,
par Genève, 30 janvier.

Permettez-moi, monsieur, d’être aussi en colère contre vous que je me sens pour vous d’estime et d’amitié. Vous auriez bien dû m’envoyer plus tôt la lettre insolente de ce coquin de Fréron, depuis la 145 jusqu’à la page 164. Je n’insisterai point ici sur les mauvaises critiques qu’il fait de votre Ode. Parmi ses censures de mauvaise foi, il y en a quelques-unes qui pourraient éblouir, et, si vous réimprimez votre ode, je vous demande en grâce de consulter quelque ami d’un goût sévère, et surtout de ménager l’impatience des lecteurs français, qui, d’ordinaire, ne peut souffrir dans une ode que quinze ou vingt strophes tout au plus. Le sujet est si beau, et il y a dans votre ode des morceaux si touchants, que vous vous êtes vous-même imposé la nécessité de rendre votre ouvrage parfait. Un des grands moyens de le perfectionner est de l’accourcir, et de sacrifier quelques expressions auxquelles l’oreille française n’est pas accoutumée.

Je n’ai jamais fait un ouvrage de longue haleine sans consulter mes amis. M. d’Argental m’a fait corriger plus de deux cents vers dans Tancrède, et m’en a fait retrancher plus de cent ; et la pièce est encore très-loin de mériter les bontés dont il l’a honorée.

Croyez-moi, monsieur, il faut que nos ouvrages appartiennent à nos amis et à nous.


Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes,
Culpabit duros · · · · · · · · · · · · · · ·

(Hor., de Art poet., v. 445-446.)

Je me sens vivement intéressé à votre gloire, et je crois qu’il vous sera très-aisé de rendre toute votre ode digne de votre génie, de la noblesse d’âme qui vous l’a inspirée, et du bujel intéressant qui en est l’objet.