Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/190

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Vous me pardonnerez sans doute la liberté que je prends ; les soins que nous avons pris tous deux du grand nom de Corneille doivent nous lier à jamais. Je regarde jusqu’à présent comme un bienfait l’honneur et le plaisir que vous avez procurés à ma vieillesse ; Mlle Corneille paraît mériter, de plus, tous les soins que vous avez pris d’elle. Ma nièce l’élève et la traite comme sa fille ; mais plus le nom de Corneille est respectable, et plus vos soins, ceux de M. Titon, et ceux de ma nièce, ont l’approbation de tous les honnêtes gens ; plus l’outrage que Fréron ose faire à cette demoiselle et à vos bontés est punissable.

Monsieur le chancelier et M. de Malesherbes peuvent lui permettre de dire son avis à tort et à travers sur des vers et de la prose ; mais ils ne doivent certainement pas souffrir qu’il insulte personnellement Mme Denis, Mlle Corneille, et vous-même, monsieur, qui nous avez procuré l’honneur que nous avons. Le nom de Lamoignon est respectable, mais celui de Corneille l’est aussi ; et, sans compter deux cents ans de noblesse qui sont dans la famille des Corneille, la France doit aimer assez ce nom pour demander le châtiment du coquin qui ose insulter la seule personne qui le porte.

Mme Denis est née demoiselle, et est veuve d’un gentilhomme mort au service du roi : elle est estimée et considérée ; toute sa famille est dans la magistrature et dans le service. Ces mots de Fréron[1] : « Mlle Corneille va tomber entre bonnes mains, » méritent le carcan.

Le sieur L’Écluse, qui n’avait certainement que faire à tout cela, se trouve insulté dans la même page ; il est vrai qu’étant jeune il monta sur le théâtre ; mais il y a plus de vingt-cinq ans qu’il exerce avec honneur la profession de chirurgien-dentiste. Il est faux qu’il loge chez moi ; il y est venu, il y a un an, pour avoir soin des dents de ma nièce[2]. Je le traite, dit-il, comme mon frère, et il insinue que je ne fais nulle différence entre une demoiselle de condition du nom de Corneille et un acteur de la Foire. J’ai reçu M. de L’Écluse avec amitié, et avec la distinction que mérite un chirurgien habile et un homme très-estimable tel que lui. Il y a, d’ailleurs, quatre mois entiers qu’il n’est plus chez moi, et qu’il exerce sa profession à Genève, où il est très-honorablement accueilli. J’enverrai, s’il le faut, les témoignages des syndics de Genève, qui certifieront tout ce que j’ai l’honneur de vous dire.

  1. Voyez une note de la lettre 4416.
  2. Mme Denis.