Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/191

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Le résultat de la lettre insolente de Fréron est que vous m’avez envoyé une fille de qualité pour être élevée par une danseuse de corde. C’est outrager aussi M.  Titon, Mlle  de Vilgenou, madame votre femme, et tous ceux qui se sont intéressés à l’éducation de Mlle  Corneille. Je ne doute pas que, si vous présentez les choses sous ce point de vue à monseigneur le prince de Conti, il ne trouve que Fréron mérite punition. On devrait en parler aux ministres, et je crois même que c’est une affaire du ressort du lieutenant criminel : jamais rien n’a été plus marqué au coin du libelle diffamatoire que ses quatre lignes de la page 164. Vous pourriez, monsieur, engager son père à signer un pouvoir à un procureur. Ma nièce, M.  de L’Écluse, et moi, nous pourrions intervenir au procès. Je vous supplie, monsieur, de m’instruire au plus tôt de ce que vous aurez fait, et de me dire ce qu’on me conseille de faire. Nous allons, d’ailleurs, envoyer nos plaintes à monsieur le chancelier. Voici copie de la lettre de Mme  Denis.

Je vous présente mes respects.


Voltaire.

N. B. Il faut mettre la page 164 entre les mains de mon procureur, nommé Pinon du Coudrai, rue de Bièvre, et attaquer Fréron à la Tournelle ; c’est le droit de la noblesse.


4440. — DE MADAME DENIS,
à monsieur le chancelier de france[1].
Ferney, 30 janvier.

Je me joins au cri de la nation contre un homme qui la déshonore. Un nommé Fréron insulte toutes les familles : il m’outrage personnellement, moi, Mlle  Corneille, alliée à tout ce qu’il y a de plus grand en France, et portant un nom plus respectable que ses alliances. Je suis la veuve d’un gentilhomme mort au service du roi ; je prends soin de la vieillesse de mon oncle, qui a l’honneur d’être connu de vous. J’ai recueilli chez moi la petite nièce du grand Corneille, et je me suis fait un honneur de présider à son éducation. Ce n’est pas au nommé Fréron, dont on tolère les impertinentes feuilles sur des points de littérature, à oser entrer dans le secret des familles, à insulter la noblesse, et à noircir publiquement de couleurs abominables une bonne action qu’il est fait pour ignorer. Sa page 164 est un libelle dif-

  1. Le chancelier était Guillaume de Laimoignon, né le 6 mars 1683, mort en 1772, père de Malesherbes.