Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/214

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Je ne vous parle plus de Charles Baudy, ni des quatre moules de bois (lisez quatorze ; c’est un chiffre que vous avez omis : nous appelons cela lapsus linguæ). J’ai peut-êre même eu tort de vous en parler, car il est vrai que c’est Charles Baudy qui me doit, et que vous ne me devez rien, mais à lui, de qui je me ferai payer, et qui sans doute n’aura nulle peine à se faire aussi bien payer de vous. Si je vous en ai parlé, peut-être trop au long, ce n’a été que comme ami et voisin, en qualité d’homme qui vous aime et vous honore, n’ayant pu m’empêcher de vous représenter combien cette contestation allait devenir publiquement indécente, soit que vous refusassiez à un paysan le payement de la marchandise que vous avez prise près de lui, soit que vous prétendissiez faire payer à un de vos voisins une commission que vous lui aviez donnée. Je ne pense pas qu’on ait jamais ouï dire qu’on ait fait à personne un présent de quatorze moules de bois, si ce n’est à un couvent de capucins.

J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus parfaits, monsieur, etc.


4461. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
11 février.

Voilà le cas de mourir ; tout abandonne Voltaire. Voltaire a écrit deux lettres[1] à M.  le duc de Choiseul : point de réponse. Je lui pardonne ; il est surchargé. Petit-fils Prault n’a pas daigné m’envoyer un Tancrède ; je ne lui pardonne pas. Mais que mes anges ne m’instruisent ni de la santé de Mlle  Clairon, ni d’aucune particularité du tripot, ni du retour de M.  de Richelieu, ni de la façon dont certaine épître dédicatoire[2] a été reçue, ni de l’unique représentation de la Chevalerie, ni du Père de famille : c’est le comble du malheur. À quoi dois-je attribuer ce détestable silence ? Mon cher ange a-t-il toujours mal aux yeux, comme moi à tout mon corps ? Le secrétaire[3] que je préfère à tous les secrétaires d’État serait-il malade ou serait-elle malade ? Mes anges sont-ils absorbés dans la lecture du roman de Jean-Jacques[4], ou de celui de La Popelinière[5] ? Chacun se peint dans ses romans. Le héros de La Popelinière est un homme auquel il faut un sérail ; celui de Jean-Jacques est un précepteur qui prend le pucelage de son écolière pour ses gages. Si jamais M.  d’Argental fait un roman, il prendra pour son héros un homme aimable qui saura aimer,

  1. Elles sont perdues.
  2. Celle de Tancrède, que Voltaire appelle souvent la Chevalerie.
  3. Mme  d’Argental.
  4. La Nouvelle Héloïse.
  5. Voyez la lettre suivante.