Il faut peindre les choses dans toute leur vérité, c’est-à-dire dans toute leur horreur.
Je vous embrasse, vous aime, estime et révère.
Nos montagnes couvertes de neige, et mes cheveux, devenus aussi blancs qu’elles, m’ont rendu paresseux, ma chère nièce ; j’écris trop rarement. J’en suis très-fâché, car c’est une grande consolation d’écrire aux gens qu’on aime : c’est une belle invention que de se parler, de cent cinquante lieues, pour vingt sous.
Avez-vous lu le roman de Rousseau ? Si vous ne l’avez pas lu, tant mieux ; si vous l’avez lu, je vous enverrai les Lettres du marquis de Ximenès sur ce roman suisse[1].
Nous montrons toujours l’orthographe à la cousine issue de germain de Polyeucte et de Cinna. Si celle-là fait jamais une tragédie, je serai bien attrapé ; elle fait du moins de la tapisserie. Je crois que c’est un des beaux-arts, car Minerve, comme vous savez, était la première tapissière du monde. Il n’y a que la profession de tailleur qui soit au-dessus, Dieu ayant été lui-même le premier tailleur, et ayant fait des culottes pour Adam[2] quand il le chassa du paradis terrestre à coups de pied au cul.
Votre sœur embellit les dedans de Ferney, et moi, je me ruine dans les dehors. C’est une terrible affaire que la création ; vous avez très-bien fait de vous borner à rapetasser. Je vous crois actuellement bien à votre aise dans votre château ; mais je vous plains de n’avoir ni grand jardin, ni grand lac : ce n’est pas assez d’avoir trois mille gerbes de champart, il faut que la vue soit satisfaite.
Le grand ècuyer de Cyrus[3] aura beau faire, il ne formera point de paysage où la nature n’en a pas mis. J’ai peur qu’à la longue le terrain ne vous dégoûte. Quand vous voudrez voir quelque chose de fort au-dessus des Délices, venez chez nous à Ferney ; surtout n’allez jamais à Paris : ce séjour n’est bon que pour les gens à illusion, ou pour les fermiers généraux. Vive la