Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/236

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campagne, ma chère nièce ; vivent les terres, et surtout les terres libres, où l’on est chez soi maître absolu, et où l’on n’a point de vingtièmes à payer ! C’est beaucoup d’être indépendant, mais d’avoir trouvé le secret de l’être en France, cela vaut mieux que d’avoir fait la Henriade.

Nous allons avoir une troupe de bateleurs auprès des Délices[1], ce qui fait deux avec la nôtre. En attendant que nous ouvrions notre théâtre, je m’amuse à chasser les jésuites d’un terrain qu’ils avaient usurpé, et à tâcher de faire envoyer aux galères un curé de leurs amis. Ces petits amusements sont nécessaires à la campagne : il ne faut jamais être oisif.

Votre jurisconsulte[2] est-il à Hornoy ou à Paris ? Votre conseiller-clerc[3], qui écrit de si jolies lettres, tous les jours de courrier, à ses parents, est-il allé juger ? Le ""grand ècuyer travaille-t-il en petits points ? Montez-vous à cheval ? Daumart[4] est au lit depuis cinq mois, sans pouvoir remuer. Tronchin vous a guérie, parce qu’il ne vous a rien fait ; mais, pour avoir fait quelque chose à Daumart, ce pauvre garçon en mourra ; ou sa vie sera pire que la mort. C’est une bien malheureuse créature que ce Daumart ; mais son père était encore plus sot que lui, et son grand-père encore plus. Je n’ai pas connu le bisaïeul, mais ce devait être un rare homme.

J’ai commencé ma lettre par le roman de Rousseau, je veux finir par celui de La Popelinière. C’est, je vous jure, un des plus absurdes ouvrages qu’on ait jamais écrit : pour peu qu’il en fasse encore un dans ce goût, il sera de l’Académie.

Bonsoir ; portez-vous bien. Je ne vous écris pas de ma main : on dit que j’ai la goutte, mais ce sont mes ennemis qui font courir ce bruit-là. Je vous embrasse de tout mon cœur.


4480. — À MADAME BELOT[5].

Vous savez, madame, combien le solitaire des Alpes aime vos charmantes lettres ; mais, tout Suisse qu’il est, il n’aime point du tout les romans suisses, et il déteste l’insolent orgueil d’un valet de Diogène qui insulte notre nation. Il est enchanté que la pièce de M. Diderot ait triomphé de la cabale. C’est une réparation

  1. À Carouge.
  2. Son fils.
  3. L’abbé Mignot.
  4. Voyez lettre 4413.
  5. Éditeurs, de Cayrol et François.