Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

motte. Je voudrais que vous lui répondissiez, cela ferait un beau contraste. Je crois que vous accusez à tort Cicéron-d’Olivet ; il n’est pas homme à donner sa voix à l’aumônier d’Houdard et de Fontenelle. Imputez tout au surintendant de la reine[1].

Ce qu’il y a de désespérant pour la nature humaine, c’est que ce Trublet est athée comme le cardinal de Tencin, et que ce malheureux a travaillé au Journal chrétien pour entrer à l’Académie par la protection de la reine. Les philosophes sont désunis ; le petit troupeau se mange réciproquement, quand les loups viennent à le dévorer. C’est contre votre Jean-Jacques que je suis le plus en colère. Cet archi-fou, qui aurait pu être quelque chose s’il s’était laissé conduire par vous, s’avise de faire bande à part ; il écrit contre les spectacles, après avoir fait une mauvaise comédie[2] ; il écrit contre la France, qui le nourrit ; il trouve quatre ou cinq douves pourries du tonneau de Diogène, il se met dedans pour aboyer ; il abandonne ses amis ; il m’écrit, à moi, la plus impertinente lettre que jamais fanatique ait griffonnée. Il me mande, en propres mots : « Vous avez corrompu Genève, pour prix de l’asile qu’elle vous a donné[3] ; » comme si je me souciais d’adoucir les mœurs de Genève, comme si j’avais besoin d’un asile, comme si j’en avais pris un dans cette ville de prédicants sociniens, comme si j’avais quelque obligation à cette ville. Je n’ai point fait de réponse à sa lettre ; M. de Ximenès a répondu pour moi, et a écrasé son misérable roman[4]. Si Rousseau avait été un homme raisonnable à qui on ne pût reprocher qu’un mauvais livre, il n’aurait pas été traité ainsi. Venons à Pancrace-Colardeau. C’est un courtisan de Pompignan et de Fréron ; il n’est pas mal de plonger le museau de ces gens-là dans le bourbier de leurs maîtres.

Mon digne philosophe, que deviendra la vérité ? que deviendra la philosophie ? Si les sages veulent être fermes, s’ils sont hardis, s’ils sont liés, je me dévoue pour eux ; mais s’ils sont divisés, s’ils abandonnent la cause commune, je ne songe plus qu’à ma charrue, à mes bœufs, et à mes moutons. Mais, en cultivant la terre, je prierai Dieu que vous l’éclairiez toujours, et vous me tiendrez lieu de public.

  1. Le président Hénault.
  2. Narcisse, ou l’Amant de lui-même.
  3. Voyez les expressions de J.-J. Rousseau dans la lettre 4153 tome XL, page 423.
  4. Ximenès laissa mettre son nom aux Lettres sur la Nouvelle Héloise, qui sont de Voltaire ; voyez tome XXIV, page 165.