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marchand qui vient établir sa boutique, et qui vante sa marchandise ; il dit des injures à Bayle et à moi, et nous reproche comme un crime de préférer Virgile à son Dante. Ce pauvre homme a beau dire, le Dante pourra entrer dans les bibliothèques des curieux, mais il ne sera jamais lu. On me vole toujours un tome de l’Arioste, on ne m’a jamais volé un Dante.

Je vous prie de donner au diable il signor Marini et tout son enfer, avec la panthère que le Dante rencontre d’abord dans son chemin, sa lionne et sa louve. Demandez bien pardon à Virgile qu’un poëte de son pays l’ait mis en si mauvaise compagnie. Ceux qui ont quelque étincelle de bon sens doivent rougir de cet étrange assemblage, en enfer, du Dante, de Virgile, de saint Pierre, et de madona Béatrice. On trouve chez nous, dans le XVIIIe siècle, des gens qui s’efforcent d’admirer des imaginations aussi stupidement extravagantes et aussi barbares ; on a la brutalité de les opposer aux chefs-d’œuvre de génie, de sagesse et d’éloquence, que nous avons dans notre langue, etc. Ô tempora ! ô judicium !


4507. — À MADAME DE FONTAINE[1].

Puisque vous aimez la campagne, ma chère nièce, je vous envoie la petite Épître adressée à votre sœur sur l’Agriculture. Le droit de champart, et tous les droits seigneuriaux que vous avez, ne sont pas si favorables à la poésie que la charrue et les moutons. Virgile a chanté les troupeaux et les abeilles, et n’a jamais parlé du droit de champart. Je vous ferai une épître pour vous confirmer dans le juste mépris que vous semblez avoir pour le tumulte et les inutilités de Paris, et dans votre heureux goût pour les douceurs de la retraite.

Il est vrai que Ferney est devenu un des séjours les plus riants de la terre. Je joins à l’agrément d’avoir un château d’une jolie structure, et celui d’avoir planté des jardins singuliers, le plaisir solide d’être utile au pays que j’ai choisi pour ma retraite. J’ai obtenu du conseil le dessèchement des marais qui infectaient la province, et qui y portaient la stérilité. J’ai fait défricher des

    mier volume du Dante, est une Vie de ce poëte par l’abbé Marini, et à la suite deux lettres de Martinelli au comte d’Oxford, où Voltaire est maltraité. Si mes conjectures sur les nouveaux titres mis aux deux volumes du Dante étaient fausses, la lettre de Voltaire ne serait pas de 1761, et se trouverait avoir été mal placée par mes prédécesseurs. (B.)

  1. Dans toutes les éditions de Voltaire cette lettre est datée du 1er février. C’est une erreur. Elle ne peut être que de la fin de mars. (G. A.)