Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/33

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droit ? Votre maison va être comme la Bourse de Londres : le jésuite et le janséniste, le catholique et le socinien, le convulsionnaire et l’encyclopédiste, vont bientôt s’y embrasser de bon cœur, et rire encore de meilleur cœur les uns des autres. Si vous pouviez encore engager Jean-Jacques Rousseau à venir à quatre pattes, de Montmorency à Genève, faire amende honorable à la comédie en se redressant sur ses deux pieds de derrière pour jouer dans quelqu’une de vos pièces, ce serait vraiment là une belle cure, et plus belle que celle de votre campagnard nouveau converti ; mais je crois que pour Jean-Jacques l’heure de la grâce n’est pas encore venue.

Il me semble, comme à vous, que votre ancien disciple est un peu remonté sur sa bête[1] ; mais je crains qu’elle ne soit encore un peu récalcitrante, et je ne le vois pas bien affermi sur ses étriers. Mais, à propos de bête, que dites-vous de la figure que nous faisons sur la nôtre ? Que dites-vous de ce fameux duc de Broglie,


Sage en projets, et vif dans les combats,
Qui va venger les malheurs de la France[2] ?


Il me semble qu’il perd sa réputation sou à sou ; c’est se ruiner assez platement.

En attendant, nous avons perdu le Canada. Voilà le fruit de la besogne de ce grand cardinal[3] que vous appeliez si bien Margot la bouquetière, et dont j’osais dire autrefois, en lui entendant lire ses poésies, que si on coupait les ailes aux Zéphyrs et à l’Amour, on lui couperait les vivres. Nous ne nous attendions pas, vous et moi, qu’il nous prouverait un jour, par le traité de Versailles, que sa prose vaudrait encore moins que ses vers. Nous n’aurions pas cru cela, lorsqu’il lisait à l’Académie son poëme[4] contre les incrédules, pour attraper un petit bénéfice de l’archimage Yebor[5], qui l’écoutait en branlant sa vieille tête de singe, et qui semblait lui dire : « Non, non, vous n’aurez rien, quoi que vous disiez ; on ne m’attrape pas ainsi. » Que Dieu le bénisse, lui, ses vers, et sa prose ! On dit qu’il a permission d’aller se promener dans ses abbayes ; on aurait dû l’envoyer promener quatre ans plus tôt. Ill ne reste plus qu’à savoir ce que nous allons devenir, et quel parti nous allons prendre.


Quand on a tout perdu, quand on n’a plus d’espoir,
La guerre est un opprobre, et la paix un devoir[6].


Quant à nos sottises intestines, elles commencent à foisonner un peu moins dans ce moment-ci. Il n’y a rien de nouveau, que je sache, du quar-

  1. Le général Daun, battu complètement par Frédéric près de Torgau, le 3 novembre suivant.
  2. Ces vers sont du Pauvre Diable : voyez tome X.
  3. Bernis.
  4. Intitulé la Religion vengée, dont la première édition est de 1795.
  5. Anagramme de Boyer.
  6. Parodie des derniers vers du second acte de Mérope. tome IV, page 220.