Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venez de faire à la vigne du Seigneur. Depuis le voyage de la reine de Saba, il n’y en a point de plus édifiant que celui de ce bon gentilhomme qui fait cent cinquante lieues pour être bien sûr que deux et un font trois. Il est vrai que vous étiez fait, plus que personne, pour lui persuader que trois ne font qu’un, car il a dû voir que vous en valiez bien trois autres.

Je ne doute point que vous ne conserviez précieusement le dieu[1] que M. de Maudave vous a apporté des Indes. Ces gens-là sont plus sensés que nous ; nous avons fait notre dieu d’une gaufre ; les Indiens vont, comme Bartholomée, droit au solide[2].


· · · · · · · · · · Priapum,
Maluit esse deum.

(Hor., lib. I, sat. viii, v. 2.)

C’est celui-là qu’on peut bien appeler Dieu le père.

Je passe à Boileau d’avoir parlé en vers de sa perruque, mais je ne lui passe pas de s’être donné là-dessus les violons. La poésie, quoi qu’il en dise, ne doit se permettre qu’à regret les petits détails qui ne valent pas la peine qu’ils donnent ; elle est faite pour exprimer de grandes choses, nobles et vraies. Si vous ne pensiez pas comme moi, je dirais que vous avez fait, comme M. Jourdain, de la prose[3] sans le savoir.

Oui, en vérité, vous devez une épître à Mlle Clairon, et je ne vous laisserai point en repos que vous n’ayez acquitté cette dette. Je vous permets, pour vous mettre à votre aise, d’y parler de tout ce qu’il vous plaira, même de votre perruque ; et, s’il vous en faut encore une autre, je vous abandonne celles de Pompignan, Fréron, et Trublet, que vous avez déjà si bien peignées.

M. Turgot m’écrit qu’il compte être à Genève vers la fin de ce mois ; vous en serez sûrement très-content[4]. C’est un homme d’esprit, très-instruit, et très-vertueux, en un mot, un très-honnête cacouac[5], mais qui a de bonnes raisons pour ne le pas trop paraître : car je suis payé pour savoir que la cacouaquerie ne mène pas à la fortune, et il mérite de faire la sienne.

Comment diable, quarante-neuf convives[6] à votre table, dont deux maîtres des requêtes et un conseiller de grand’chambre, sans compter le duc de Villars et compagnie !

Vous êtes donc comme le père de famille de l’Évangile[7], qui admet à son festin les clairvoyants et les aveugles, les boiteux, et ceux qui marchent

  1. C’était un Limgam ou Phallus, très-révéré dans l’Inde. C’est l’instrument qui distinguait le dieu Priape, et qui était également honoré chez les Romains comme l’emblème de la génération. — Quant aux gaufres, voyez la lettre de d’Alembert à Voltaire, du 2 octobre 1762.
  2. Contes de La Fontaine, le Calendrier des vieillards.
  3. Le Bourgeois gentilhomme, acte II, scène vi.
  4. Très-content en effet. Voyez plus bas la réponse de Voltaire, sous le n° 4337.
  5. Un philosophe.
  6. Voyez la lettre 4290.
  7. Luc, chap. xiv, v. 21.