Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/375

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Vous savez que les alliés sont comme les amis qu’on appelait de mon temps au quadrille : on changeait d’amis à chaque coup.

Il me semble d’ailleurs que l’amitié de messieurs de Brandebourg a toujours été fatale à la France. Ils nous abandonnèrent au siège de Metz, fait par Charles-Quint. Ils prirent beaucoup d’argent de Louis XIV, et lui firent la guerre. Vous savez que Luc vous trahit deux fois[1] dans la guerre de 1741, et sûrement vous ne le mettrez pas en état de vous trahir une troisième. Sa puissance n’était alors qu’une puissance d’accident, fondée sur l’avarice de son père et sur l’exercice à la prussienne. L’argent amassé a disparu ; il est battu avec son exercice. Je ne crois pas qu’il reste quarante familles à présent dans son beau royaume de Prusse. La Poméranie est dévastée ; le Brandebourg, misérable ; personne n’y mange de pain blanc ; on n’y voit que de la fausse monnaie, et encore très-peu. Ses États de Clèves sont séquestrés ; les Autrichiens sont vainqueurs en Silésie. Il serait plus difficile à présent de le soutenir que de l’écraser. Les Anglais se ruinent à lui donner des secours indiscrets vers la Hesse, et, grâce au ciel, vous rendez ces secours inutiles. Voilà l’état des choses.

Maintenant, si on voulait parier, il faudrait, dans la règle des probabilités, parier trois contre un que Luc sera perdu avec ses vers, et ses plaisanteries, et ses injures, et sa politique, tout cela étant également mauvais.

Cette affaire finie, supposé qu’un coup de désespoir ne rétablisse pas ses affaires, et ne ruine pas les vôtres, tout finit en Allemagne. Vous avez un beau congrès, dans lequel vous êtes toujours garant du traité de Vestphalie, et j’en reviens toujours à dire que tous les princes d’Allemagne diront : Luc est tombé parce qu’il s’est brouillé avec la France ; c’est à nous d’avoir toujours la France pour protectrice. Certainement, après la chute de Luc, la reine de Hongrie ne viendra pas vous redemander ni Strasbourg, ni Lille, ni votre Lorraine. Elle attendra au moins dix ans, et alors vous lui lâcherez le Turc et le Suédois pour de l’argent, si vous en avez.

Le grand point est d’avoir beaucoup d’argent. Henri IV se prépara à se rendre l’arbitre de l’Europe en faisant faire des balances d’or par le duc de Sully. Les Anglais ne réussissent qu’avec des guinées et un crédit qui les décuple. Luc n’a fait

  1. En juin 1742, et en décembre 1745.