Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/45

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Je vous donnerai quelque jour une pièce où vous pourrez étaler un appareil plus noble et plus convenable. Nous avons joué ici Fanime avec des applaudissements bien singuliers ; Mme Denis y déploya les talents les plus supérieurs, elle fit pleurer des gens qui n’avaient jamais connu les larmes ; enfin elle ne fut point indigne de jouer le rôle de Fanime, qui est celui de Mlle Clairon. Quand vous voudrez, vous aurez cette pièce ; mais il faut commencer par Tancrède.

Je vous prie très-instamment de me mander quelle pièce vous comptez mettre sur le théâtre vers la Saint-Martin ; mettez-moi un peu au fait de votre marche. Vous savez combien je m’intéresse à vos succès et à vos avantages ; comptez sur l’amitié inviolable de votre très-humble, etc.


4311. — À M. TURGOT[1].
Aux Délices, près de Genève, 26 octobre.

Vous arrivez, monsieur, dans ma chapelle de village quand la messe est dite ; mais nous la recommencerons pour vous. Cette chapelle est un théâtre de Polichinelle, où nous jouons des pièces nouvelles avant qu’on les abandonne au bras séculier de Paris. Vous n’aurez qu’à commander et la troupe sera à vos ordres.

Vous venez, monsieur, par un vilain temps dans un pays qu’il ne faut voir que dans le beau temps ; son seul mérite consiste dans des vues charmantes.

Vous voulez voir Genève : il n’y a que des marchands occupés de gagner trois sous sur le change, des prédicants calvinistes durs et ennuyeux, mais une cinquantaine de gens d’esprit très-philosophes. Il n’y vient que des malades pour consulter Tronchin, et vous vous portez bien. Les cabarets y sont très-mauvais et très-chers. Les portes de la ville se ferment à cinq heures, et alors un étranger est embarrassé de sa personne. La campagne est très-agréable ; mais ce n’est pas au mois de novembre.

Vous voyez, monsieur, que je ne veux pas vous surfaire.

Je suis dans ma chaumière ; on la nomme les Délices, parce que rien n’est plus délicieux que d’y être libre et indépendant. Elle est située sur le chemin de Lyon, à une portée de canon de la ville de Calvin. Vous verrez une longue muraille, une porte à

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.