Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/490

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ai à peine quatre-vingt mille ; mais les premiers diacres de l’Église romaine n’en avaient pas tant, et je ne suis pas fâché d’être le plus pauvre des cardinaux français, parce que personne n’ignore qu’il n’a tenu qu’à moi d’être le plus riche. Je suis content, mon cher confrère, parce que j’ai beaucoup réfléchi et comparé, et que lorsqu’à la première dignité de son état on joint le nécessaire, une santé passable, et une âme douce et courageuse, on n’a plus que des grâces à rendre à la Providence. Je serai à la fin du mois à Montélimart, où je compte passer l’hiver. Votre banquier de Lyon pourrait remettre le paquet au sieur Henri Gonzebas, qui fait mes commissions dans cette ville : c’est un bon Suisse fort exact, qui me ferait tenir cette pacotille ; elle vous reviendrait par la même voie sans aucun inconvénient. Pierre Corneille et François de Voltaire me suivent dans tous mes voyages. Adressez désormais toutes vos lettres à Montélimart ; elles me font le plus grand plaisir du monde. Je vois que vous êtes gai ; cela prouve que vous êtes sage, que vous voyez et sentez comme il faut voir et sentir les choses de ce pauvre monde. Adieu, mon cher confrère, je vous suis fidèlement et tendrement attaché.


4711. — À M.  LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
Du 20 octobre.

Vous n’êtes donc venu chez moi, monsieur, vous ne m’avez offert votre amitié, que pour empoisonner par des procès la fin de ma vie. Votre agent, le sieur Girod, dit, il y a quelque temps, à ma nièce, que si je n’achetais pas cinquante mille écus, pour toujours, la terre que vous m’avez vendue à vie, vous la ruineriez après ma mort ; et il n’est que trop évident que vous vous préparez à accabler du poids de votre crédit une femme que vous croyez sans appui, puisque vous avez déjà commencé des procédures que vous comptez de faire valoir quand je ne serai plus.

J’achetai votre petite terre de Tournay à vie, à l’âge de soixante et six ans[2], sur le pied que vous voulûtes. Je m’en remis à votre honneur, à votre probité. Vous dictâtes le contrat ; je signai aveuglément. J’ignorais que ce chétif domaine ne vaut pas douze cents livres[3] dans les meilleures années ; j’ignorais que le sieur Chouet, votre fermier, qui vous en rendait trois mille livres, y

  1. Cette lettre, imprimée par Beuchot, a été republiée par M. Foisset, dans la Correspondance de Voltaire et du président de Brosses, page 149 ; par M. de Mandat-Grancey, dans les Lettres de Voltaire à M. le conseiller Le Bault, page 31 ; et par H. Beaune, dans Voltaire au collège, page 86 : ces deux derniers l’ont réimprimée d’après les copies faites pour MM. Le Bault et Fyot de La Marche.
  2. Soixante-quatre ans.
  3. Je viens de l’affermer douze cents livres, trois quarterons de paille, et un char de foin. (Note de Voltaire.)