Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/537

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des archives ou dans les recueils des Lamberti[1], des Dumont[2], ou même des Rousset[3] ; mais rien n’est plus insipide dans une histoire. On peut renvoyer le lecteur à ces documents ; mais ni Polybe, ni Tite-Live, ni Tacite, n’ont défiguré leurs histoires par ces pièces ; elles sont l’échafaud avec lequel on bâtit, mais l’échafaud ne doit plus paraître quand on a construit l’édifice. Enfin le grand art est d’arranger et de présenter les événements d’une manière intéressante : c’est un art très-difficile, et qu’aucun Allemand n’a connu. Autre chose est un historien, autre chose est un compilateur.

Je finis, monsieur, par l’article le plus essentiel : c’est de forcer les lecteurs à voir Pierre le Grand, à le voir toujours fondateur et créateur au milieu des guerres les plus difficiles, se sacrifiant et sacrifiant tout pour le bien de son empire. Qu’un homme[4] trop intéressé à rabaisser votre gloire dise tant qu’il voudra que Pierre le Grand n’était qu’un barbare qui aimait à manier la hache, tantôt pour couper du bois et tantôt pour couper des têtes, et qu’il trancha lui-même celle de son fils innocent ; qu’il voulait faire périr sa seconde femme, et qu’il fut prévenu par elle ; que ce même homme dise et écrive les choses les plus offensantes contre votre nation ; qu’enfin il me marque le mécontentement le plus vif, et qu’il me traite avec indignité, parce que j’écris l’histoire d’un règne admirable ; je n’en suis ni surpris ni fâché[5], et j’espère qu’il sera obligé de convenir lui-même de la supériorité que votre nation obtient en tout genre depuis Pierre le Grand. Ce travail, que vous m’avez bien voulu confier, monsieur, me devient tous les jours plus cher par l’honneur de votre correspondance. M. de Soltikof m’a dit que Votre Excellence ne serait pas fâchée que je vous dédiasse quelque autre ouvrage, et que mon nom s’appuyât du vôtre. J’ai fait depuis peu une tragédie d’un genre assez singulier[6] : si vous me le permettez, je vous la dédierai ; et ma dédicace sera un discours sur l’art dra-

  1. Voyez tome XVI, pape 588.
  2. Le Corps universel diplomatique du droit des gens, 1726, huit volumes in-folio.
  3. Supplément au Corps diplomatique, 1739, trois volumes in-folio.
  4. Frédéric le Grand, roi de Prusse ; voyez tome XXXIV, page 443.
  5. Dans son Épître à Mme du Châtelet sur sa liaison avec Maupertuis, Voltaire avait dit (voyez tome {{rom-maj|X|10) :

    Jeo n’en suis fâché ni surpris.

  6. Olympie ; mais, malgré ce que dit ici Voltaire, elle est sans dédicace ; voyez tome VI.