Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/577

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ment par cette raison qu’elle occupe plus l’esprit qu’elle ne touche le cœur.

Nota bene. C’est presque le seul endroit où je me sois écarté du sentiment de l’Académie, et j’ai pour moi quelques académiciens que j’ai consultés.

Les remords tardifs de Cinna me font toujours beaucoup de peine ; je sens toujours que ces remords me toucheraient bien davantage si, dans la conférence avec Auguste, Cinna n’avait pas donné des conseils perfides, s’il ne s’était pas affermi ensuite dans cette même perfidie. J’aime des remords après un crime conçu par enthousiasme : cela me paraît dans la nature, et dans la belle nature ; mais je ne puis souffrir des remords après la plus lâche fourberie : ils ne me paraissent alors qu’une contradiction.

Je ne parle ici que pour la perfection de l’art, c’est le but de tous mes commentaires ; la gloire de Corneille est en sûreté. Je regarde Cinna comme un chef-d’œuvre, quoiqu’il ne soit pas de ce tragique qui transporte l’âme et qui la déchire ; il l’occupe, il l’élève. La pièce a des morceaux sublimes, elle est régulière ; c’en est bien assez.

J’ai été un peu sévère sur Héraclius, mais j’envoie à l’Académie mes premières pensées, afin de les rectifier. M. Mayans y Siscar, éditeur de Don Quichotte et de la Vie de Cervantes, prétend que l’Héraclius espagnol est bien antérieur à l’Héraclius français ; et cela est bien vraisemblable, puisque les Espagnols n’ont daigné rien prendre de nous, et que nous avons beaucoup puisé chez eux : Corneille leur a pris le Menteur, la Suite du Menteur, Don Sanche.

Je demande permission à l’Académie d’être quelquefois d’un avis différent de nos prédécesseurs qui donnèrent leur sentiment sur le Cid. Elle m’approuvera sans doute quand je dis que fuir est d’une seule syllabe, quoiqu’on ait décidé autrefois qu’il était de deux. J’excuse ce vers :


Le premier dont ma race ait vu rougir son front.

(Acte I, scène vii.)


Je trouve ce vers beau ; la race y est personnifiée, et en ce cas son front peut rougir.

J’approuve ce vers :


Mon âme est satisfaite,
Et mes yeux à ma main reprochent ta défaite.

(Acte I, scéne iv.)