Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/58

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faut me founir de la paille, si on veut que je cuise des briques[1]. La préface fut faite dans un temps où j’étais très-drôle ; le système de de Guignes m’a paru du plus énorme ridicule. Je conseille à l’abbé Barthélémy[2] de tirer son épingle du jeu ; je voudrais, de plus, déshabituer le monde de recourir à Sem, Cham, et Japhet, et à la tour de Babel. Je n’aime pas que l’histoire soit traitée comme les Mille et une Nuits.

En vérité, vous devriez bien inspirer à M.  le duc de Choiseul mon goût pour la Louisiane. Je n’ai jamais conçu comment on a pu choisir le plus détestable pays du nord[3], qu’on ne peut conserver que par des guerres ruineuses, et qu’on ait abandonné le plus beau climat de la terre, dont on peut tirer du tabac, de la soie, de l’indigo, mille denrées utiles, et faire encore un commerce plus utile avec le Mexique.

Je vous déclare que, si j’étais jeune, si je me portais bien, si je n’avais pas bâti Ferney, j’irais m’établir à la Louisiane.

À propos de Ferney, j’ai vu M.  l’abbé d’Espagnac. Croiriez-vous bien que M.  de Fleury, intendant de Bourgogne, m’a amené le fils de mon ennemi, Omer de Fleury ? Je l’ai reçu comme si son père n’avait jamais fait de plats réquisitoires.

Mon divin ange, et vous, madame Scaliger, autre ange, je suis à vos pieds.


4321. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[4].
1er novembre 1760.

Oui, monsieur, j’ai reçu votre beau présent ; c’est M.  Le Normand qui me l’a envoyé. Je donnai le même jour au président son exemplaire. Vous avez dû recevoir, il y a déjà longtemps, son remerciement. D’Alembert n’a eu votre livre que ces jours-ci. Ne croyez point, je vous prie, que j’ai tort si vous n’avez pas eu de mes nouvelles ; mon premier soin fut de lire votre Préface et deux ou trois chapitres. Je vous écrivis sur-le-champ, de ma propre main, une lettre de huit pages, et j’employai à cet ouvrage une de mes insomnies. Au réveil de mon secrétaire, je le lui donnai à lire : il n’en put presque rien déchiffrer. Je ne me souvenais plus de ce que j’avais écrit. Je fus si dépitée que je résolus d’attendre, pour vous écrire, que j’eusse entièrement fini votre livre. Ce qui est plaisant, c’est qu’hier, en finissant la dernière page, j’ai reçu votre dernière lettre. C’est immense, monsieur,

  1. Exode, v. 7.
  2. J.-J. Barthélémy, alors membre de l’Académie des belles-lettres, si connu, plus tard, par le Voyage du jeune Anacharsis.
  3. Le Canada.
  4. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.