Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/86

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des intendants ; mais combien devrait-on s’élever contre des misérables qui mettent des impôts sur l’esprit, et qui tyrannisent la pensée ! L’ignorance et l’infâme superstition couvrent la terre ; quelques personnes échappent à ce fléau, le reste est au rang des bêtes de somme ; et on a si bien fait qu’il faut des efforts pour secouer le joug infâme qu’on a mis sur nos têtes. Nous sommes parvenus à regarder comme un homme hardi celui qui pense que deux et deux font quatre.

Jouissez, monsieur, de votre raison, dont si peu d’hommes jouissent, et ajoutez-y la jouissance de la vie dans votre belle terre, dans le sein de votre famille, et dans la société de vos amis, surtout dans celle de M.  de La Ramière, à qui nous faisons nos très-humbles compliments, et qui me paraît bien digne de votre amitié.

Adieu, monsieur ; si le plaisir d’être aimé doit être compté pour quelque chose, soyez sûr que vous le serez toujours dans la petite retraite que vous avez daigné habiter. Votre petite chambre s’appelle la cellule du philosophe. Recevez mes tendres respects.


4350. — À M.  TRONCHIN, DE LYON[1].
28 novembre.

Il pourra se faire que dans quelques jours une demoiselle de dix-huit ans vienne se présenter à vous : c’est la petite-fille du grand Corneille, la petite-nièce de Cinna et de Chimène. Il est juste que je prenne quelque soin de la descendante de mon maître. Les vassaux sont obligés de nourrir les filles de leur seigneur. Supposé qu’elle vienne, nous vous demandons, Mme  Denis et moi, toutes vos bontés pour elle ; nous supposons que ce sera vers le temps de l’Escalade. Si vers ce temps-là quelque dame de Lyon va à Genève, ne pourrait-on pas s’arranger ? Je crois que Mme  d’Argental voudra bien se charger de son voyage à Lyon ; celui de Genève se fera comme vous le jugerez à propos. Vous voyez que nous faisons aller et venir des filles ; c’est toujours vous qui favorisez ce beau commerce, et vous devez assurément prendre votre droit de passage. Cependant rien n’est si édifiant que nos filles ; nous les tirons du couvent, et nous les renvoyons dévotes.

Le prince Henri est très-malade de la poitrine ; c’est dommage, car il jouait très-joliment dans mes pièces[2].

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. À Berlin, en 1752.