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4944. — À M. DEBRUS[1].
(Reçu le 30 juin.)

J’ai à peu près vingt-quatre louis, mon cher monsieur, dont il faut disposer en faveur de la famille Calas[2]. Je m’en rapporterai à votre prudence pour savoir si on peut aider les enfants qui sont ici en même temps qu’on secourra la mère. Je crois qu’à présent elle n’est pas dans le besoin. Je distribuerai cet argent de la manière dont vous l’ordonnerez. Nous aurons encore quelques autres secours en temps et lieu. J’embrasse MM. de Végobre et Cathala, et tous vos amis. Je vous trouvai sorti hier. Je vous fais mon compliment sur votre santé ; nous avons le soleil de Languedoc, c’est la seule bénédiction de ce pays-là. V.


4945. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, 26 juin.

Vivent les lettres ! vivent les arts ! vivent ceux qui ont un peu de goût pour eux, et même un peu de passion ! Monseigneur, plus je vieillis, plus je crois, Dieu me le pardonne, que je deviens sage : car je ne connais plus que littérature et agriculture. Cela donne de la santé au corps et à l’âme ; et Dieu sait alors comme on rit de ses folies passées, et de toutes celles de nos confrères les humains ! Je vous crois à présent dans votre retraite, que vous embellissez ; et je m’imagine que Votre Éminence y est très-éminente en réflexions solides, en amusements agréables, en supériorité de raison et de goût, en toutes choses dignes de votre esprit. Ne bâtissez-vous point ? n’avez-vous pas une bibliothèque ? ne rassemblez-vous pas quelques personnes dignes de vous entendre ? Si vous en trouvez, voilà le grand point : il est bien rare de trouver des penseurs en province, et surtout des gens de goût. Je croyais autrefois, en lisant nos bons auteurs, que toute la nation avait de l’esprit, car, disais-je, tout le monde les lit :

  1. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe. L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, derrière le Rhône, à Genève. »
  2. On verra plus d’une fois, dans la suite de ces lettres, Voltaire contribuer généreusement de ses deniers, tantôt au soulagement des orphelins et de la veuve de Calas, tantôt aux frais très-considérables de leur procès. Il se montra, en outre, inépuisable en inventions et infatigable dans ses demandes pour leur créer des ressources suffisantes. (A. C.)