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CORRESPONDANCE.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir prêté cet artiste.

Vous venez de perdre le boursouflé Crébillon[1].

Dum flueret lululentus, erat quod tollere velles[2] ?

Adieu, monsieur ; conservez vos bontés à l’homme du monde qui vous est attaché avec le plus tendre respect. V.


4960. — À M. AUDIBERT[3],
négociant à marseille, et de l’académie de la même ville[4].
Aux Délices, le 9 juillet.

Vous avez pu voir, monsieur, les lettres de la veuve Calas et de son fils. J’ai examiné cette affaire pendant trois mois ; je peux me tromper, mais il me paraît clair comme le jour que la fureur de la faction et la singularité de la destinée ont concouru à faire assassiner juridiquement sur la roue le plus innocent et le plus malheureux des hommes, à disperser sa famille, et à la réduire à la mendicité. J’ai bien peur qu’à Paris on songe peu à cette horrible affaire[5]. On aurait beau rouer cent innocents, on ne parlera à Paris que d’une pièce nouvelle, et on ne songera qu’à un bon souper.

Cependant, à force d’élever la voix, on se fait entendre des oreilles les plus dures ; et quelquefois même les cris des infortunés parviennent jusqu’à la cour. La veuve Calas est à Paris chez MM. Dufour et Mallet, rue Montmartre ; le jeune Lavaysse y est aussi. Je crois qu’il a changé de nom ; mais la pauvre veuve pourra vous faire parler à lui. Je vous demande en grâce d’avoir la curiosité de les voir l’un et l’autre ; c’est une tragédie dont le dénoûment est horrible et absurde, mais dont le nœud n’est pas encore bien débrouillé.

Je vous demande en grâce de faire parler ces deux acteurs, de tirer d’eux tous les éclaircissements possibles, et de vouloir bien m’instruire des particularités principales que vous aurez apprises.

  1. Mort à Paris le 17 juin 1762, à quatre-vingt-huit ans.
  2. Hor., lib. I, sat. iv.
  3. Voyez tome XXIV, page 365.
  4. L’adresse est celle-ci : « À monsieur Dominique Audibert, chez messieurs Tourton et Baur, banquiers à Paris. » Elle est donnée par M. A. Coquerel, qui avait eu communication de l’original autographe.
  5. Dans Beuchot : « à cette affaire ».