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4802. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, près de Genève, 14 janvier.

Monsieur, il me semble que je vous avais fait mon compliment sur la conquête de Colberg un peu avant que cette place fût prise par vos armes victorieuses[1]. Si on me reproche quelques méprises sur les événements passés, vous voyez que je ne prédis pas mal l’avenir, et que mon vrai métier est d’être prophète. Je vous prophétise donc de plus grandes choses qui mettront le comble à la gloire de votre nation, et qui seront une belle réponse à celui qui prétendait que le mot honneur ne se trouvait pas dans votre langue. Il me semble que vous avez l’honneur de la victoire, de la conduite, de la magnanimité, de la probité ; et je doute que celui qui vous a outragé ait un dictionnaire pareil à son usage. J’ignore quel est cet écrivain ; mais c’est à lui à corriger son livre. Pour le premier tome de Pierre le Grand, soyez sûr, monsieur, qu’il sera conforme à toutes vos vues, après mes petites représentations.

Je n’ai de place que pour vous assurer du tendre respect que je conserverai toute ma vie pour Votre Excellence, etc.


4803. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
Aux Délices, 19 janvier.

Il faut absolument que Votre Excellence soit du métier ; vous ne pouvez en parler si bien sans en avoir un peu tâté. Pourceaugnac[2], à qui d’ailleurs vous ne ressemblez point, a beau dire qu’il a pris dans les romans qu’il doit être reçu à ses faits justificatifs, on voit bien qu’il a étudié le droit. Ce n’est ni en Corse ni à Turin qu’on apprend toutes les finesses de l’art du théâtre. Vous avez mis la main à la pâte ; avouez-le. Tout l’esprit que vous avez ne suffit pas pour entrer dans la profondeur de nos mystères : vos réflexions sont une excellente poétique. Soyez persuadé qu’il n’y a point d’ambassadeur ni de lieutenant général qui en puisse faire autant. Je suis fort aise à présent de ne vous avoir pas envoyé la bonne copie, puisque le brouillon m’a valu une si bonne leçon.

Vous avez très-grande raison, monsieur, de vouloir que Cas-

  1. Voyez la lettre du 24 octobre 1761, n° 4717.
  2. Acte II, scène xii