Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/242

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Les amis de Rousseau (non plus de Rousseau le poëte, mais de Rousseau de Genève) répandent ici que vous le persécutez, que vous l’avez fait chasser de Berne, et que vous travaillez à le faire chasser de Neuchâtel. Je suis persuadé qu’il n’en est rien, et que, malgré les torts que Rousseau peut avoir avec vous, vous ne voudriez pas l’écraser à terre. Je me souviens d’un beau vers de Sémiramis[1] :


· · · · · La pitié, dont la voix,
Alors qu’on est vengé, fait entendre ses lois.


Souvenez-vous d’ailleurs que si Rousseau est persécuté, c’est pour avoir jeté des pierres, et d’assez bonnes pierres, à cette infâme que vous voudriez voir écrasée, et qui fait le refrain de toutes vos lettres, comme la destruction de Carthage était le refrain de tous les discours de Caton au sénat. Rousseau ressemble à cet homme des Fables d’Ésope, qui donnait des soufflets aux passants, et à qui on conseilla, pour son malheur, d’aller souffleter aussi un sot accrédité qui se trouva sur son chemin, et qui lui fit payer les soufflets pour lui et pour les autres passants. Mais il ne faut pas que la philosophie, tout insultée qu’elle est par lui, puisse être accusée d’avoir contribué ou même d’insulter à son malheur. L’archevêque vient de faire contre lui un grand diable de mandement qui donnera envie de lire sa Profession de foi[2] à ceux qui ne la connaissent pas. Un mandement d’archevêque n’est qu’un titre de plus pour la célébrité ; cela s’appelle sortir avec les honneurs de la guerre.

On dit que le parlement est assemblé dans ce moment pour défendre aux jésuites de prêcher :


C’est ainsi qu’en partant il leur fait ses adieux[3].


Je n’aurais jamais cru que la destruction de cette vermine dût faire un si petit événement. À peine en a-t-on parlé deux jours, et ces jésuites si orgueilleux périssent comme des capucins, sans faire de sensation ; on dit pourtant qu’il y a des personnes très-considérables à Versailles qui ne prennent pas la chose si fort en patience, qui en maigrissent à vue d’œil, et dont les joues rentrent en dedans à mesure que les jésuites sont poussés dehors. À propos de cela, savez-vous que frère Berthier a pensé être instituteur des Enfants de France ? Heureusement ce ridicule choix n’a pas eu lieu ; voilà en effet un plaisant instituteur qu’un capelan sans philosophie, sans goût, sans connaissance des hommes ! Si on le faisait balayeur de la Bibliothèque du roi, je le trouverais mieux placé.

Que dites-vous de la révolution de Russie, et de votre ancien disciple, dont vous vous obstinez à ne me point parler ? Vous avez toujours cru qu’il

  1. Acte V, scène vi.
  2. La Profession de foi du Vicaire savoyard, qui fait une partie du livre II de l’Émile.
  3. Quinault, Thésée, acte V, scène vi.