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5161. — À M.  LE BRUN.
Ferney, 26 janvier.

Puisque à la réception de ma lettre, monsieur, vous ne m’avez pas envoyé un parent de Racine pour épouser Mlle  Corneille, nous avons pris un jeune cornette de dragons, de vingt-trois ans, d’une très-jolie figure, de mœurs charmantes, bon gentilhomme, mon voisin, possédant à ma porte environ dix mille livres de rente en terres. J’arrange ses affaires, je donne une dot honnête, je garde chez moi les mariés. Il est juste que vous ayez la première nouvelle de cet arrangement, puisque c’est à vous que je dois Mlle  Corneille. Il faut que votre nom soit au bas du contrat. Envoyez-moi un ordre par lequel vous me commettrez pour signer en votre nom.

Je ne sais pas où Mlles  Félix et de Vilgenou[1] demeurent. Je leur dois la même attention ; je vous supplie de leur faire rendre mes lettres, et de vouloir bien envoyer le paquet contenant leur réponse et la vôtre à M.  Damilaville, premier commis du vingtième, quai Saint-Bernard. Je quitte la plume pour la donner à une main plus agréable que la mienne.

« Vous êtes, monsieur, le premier auteur de mon bonheur, il m’en est plus précieux. Je me joins à M.  de Voltaire pour vous dire que je serai toute ma vie, avec la plus sensible reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante.


Corneille.

« Je présente mes obéissances à madame votre femme, que je n’oublierai jamais. »

Je ne sais où prendre M. Dumolard ; si vous le voyez, monsieur, je vous prie de vouloir bien l’assurer de mes sentiments. Mais soyez surtout persuadé de ceux que je vous ai voués bien sincèrement.

Il est plaisant que le nom de notre mari soit Dupuits, tandis qu’on donne le mariage de M. Dupuis à la Comédie. Cela est d’un bon augure : on dit que la pièce est très-jolie ; notre Dupuits l’est aussi.

Avouez, monsieur, que Mlle  Corneille a eu une étoile bien singulière, si tant est qu’on ait une étoile.

  1. Voyez page 369.