Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai balancé longtemps sur l’innocence de cette famille ; je ne pouvais croire que des juges eussent fait périr, par un supplice affreux, un père de famille innocent. Il n’y a rien que je n’aie fait pour m’éclaircir de la vérité ; j’ai employé plusieurs personnes auprès des Calas, pour m’instruire de leurs mœurs et de leur conduite ; je les ai interrogés eux-mêmes très-souvent. J’ose être sûr de l’innocence de cette famille comme de mon existence : ainsi j’espère que M. de Crosne aura reçu avec bonté la lettre que j’ai eu l’honneur de lui écrire. Ce n’est point une sollicitation que j’ai prétendu faire, ce n’est qu’un hommage que j’ai cru devoir à la vérité. Il me semble que les sollicitations ne doivent avoir lieu dans aucun procès, encore moins dans une affaire qui intéresse le genre humain : c’est pourquoi, monsieur, je n’ose même vous supplier d’accorder vos bons offices ; on ne doit implorer que l’équité et les lumières de M. de Crosne. Vous avez lu les factums, et je regarde l’affaire comme déjà décidée dans votre cœur et dans celui de monsieur votre gendre.

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, etc.


5190. — À M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Ferney, 13 février.

Je deviens à peu près aveugle, monsieur. Un petit garçon, qui passe pour être plus aveugle que moi, et qui vous a servi comme s’il était clairvoyant, s’est un peu mêlé des affaires de Ferney. Ce fut hier que le mariage fut consommé ; je comptais avoir l’honneur d’en écrire à Votre Excellence. Deux époux qui s’aiment sont les vassaux naturels de madame l’ambassadrice et de vous. Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci ; et où n’y en a-t-il point ?

J’arrive au pied des Alpes, je m’y établis ; Dieu m’envoie Mlle Corneille, je la marie à un jeune gentilhomme qui se trouve tout juste mon plus proche voisin ; je me fais deux enfants que la nature ne m’avait point donnés ; ma famille, loin d’en murmurer, en est charmée : tout cela tient un peu du roman.

Pour rendre le roman plus plaisant, c’est un jésuite qui a marié mes deux petits. Joignez à tout cela la naïveté de Mlle Corneille, à présent Mme Dupuits ; naïveté aussi singulière que l’était la sublimité de son grand-père.

Je jouis d’un autre plaisir, c’est celui du succès de l’affaire