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5193. — DE LOUIS-EUGÈNE,
duc de wurtemberg.
À Renan, ce 14 février.

J’apprends, monsieur, que madame votre nièce est malade ; j’en suis très-inquiet. Daignez, de grâce, me faire savoir ce qui en est. Je suis très-fâché que vous ne m’en ayez rien dit, car vous n’ignorez pas la part que je prends à ce qui vous intéresse. Ce procédé n’est pas dans l’ordre, et vous ne pouvez le réparer qu’en me donnant des nouvelles plus consolantes de sa santé.

Je suis bien fâché que cet incident ait converti vos fêtes en des jours de tristesse ; mais l’habileté et les soins de M. Tronchin me rassurent et me tranquillisent.

Il faut bien que la vie de l’homme soit mêlée de plaisirs et de peines, puisque à Ferney même l’amertume en corrompt quelquefois la douceur.

Les nouvelles d’aujourd’hui confirment la grande nouvelle de la paix. Un courrier de M. Werelst a apporté à la Haye la signature des préliminaires. Notre postérité aura de la peine à croire qu’on se soit, pendant sept ans, exterminé de part et d’autre en Allemagne pour se reposer ensuite dans le même système qu’on avait abandonné.

En vérité, les hommes ont de singuliers conducteurs ; mais ceux qui rampent aujourd’hui sur la surface de la terre en méritent-ils d’autres ?


Croyez-moi, les humains, que j’ai trop su connaître,
Méritent peu, mon fils, qu’on veuille être leur maître.

(Alzire, acte I, scène i.)

Vous les connaissiez dès lors, monsieur, et il semble que depuis ils sont devenus encore plus petits et plus méprisables.

J’ai vu de près plusieurs de ceux que les siècles à venir illustreront sous la qualification de héros. Ils m’ont fait pitié, et je le dis non par rancune ou par amour-propre, mais par le respect que je porte à la vérité.

Je voudrais avoir trouvé dans les espaces ce point qu’Archimède cherchait : je vous y placerais, mon cher maître, non pour soulever le monde, mais pour nous apprendre des vérités qui confondraient à jamais l’orgueil et l’imposture.

Ma petite femme me charge de vous faire bien des compliments de sa part ; et, quoique fort incommodée, elle me paraît plus inquiète de vos inquiétudes que des maux qui l’affligent. Cette façon de penser est commune à tout ce qui m’appartient, et elle découle bien naturellement des sentiments de la tendre amitié que je vous ai vouée depuis si longtemps.