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5198. — À M. GOLDONI.
Au château de Ferney, 19 février.

J’ai respecté longtemps vos occupations, monsieur ; mais la meilleure raison qui m’ait empêché de vous écrire, c’est qu’on dit que je deviens aveugle ; ce n’est pas comme Homère, c’est comme Lamotte-Houdard, dont vous avez peut-être entendu parler à Paris, et qui faisait des vers médiocres tout comme moi. Je suis menacé de perdre la vue, et ce petit accident me prive d’un grand plaisir, qui est celui de lire vos pièces.

Un homme de beaucoup d’esprit, et qui entend parfaitement l’italien, m’a mandé qu’il était extrêmement satisfait de la dernière comédie[1] dont vous avez gratifié notre public de Paris. Si elle est imprimée, je vous demande en grâce de me l’envoyer. Mes yeux feront un effort pour la lire, ou bien ma nièce nous la lira.

Je vous destine une quarantaine de volumes :


Nardi parvus onyx eliciet cadum.

(Hor., lib. IV, od. xii, V. 17.)

Mais ne vous effarouchez pas de cet énorme fardeau ; il y a vingt volumes de votre serviteur que vous pourrez jeter dans le feu ; et, pour vous consoler, le reste est de Corneille. Je reçois quelquefois des nouvelles de votre ami M. le marquis Albergati. Si j’étais jeune, je vous accompagnerais à votre retour pour aller l’embrasser ; mais j’ai soixante et dix ans, et il faut que je meure entre les Alpes et le mont Jura, dans ma petite retraite. Vous aurez un vrai serviteur jusqu’au dernier moment de ma vie.


5199. — À M. DEBRUS[2].

Je vous envoie, monsieur, pour votre consolation la lettre de notre rapporteur, et je la confie à votre extrême discrétion ; il n’est point du tout d’usage que les juges d’une affaire écrivent aux solliciteurs, et encore moins à ceux qui se rendent en quelque façon partie, comme moi. Je n’ai reçu qu’hier 19 cette lettre, qui est du 10. Il arrive très-souvent qu’on néglige à Paris d’envoyer les lettres à la poste au jour prescrit. Mais je vois qu’on ne

  1. L’Amour paternel ; voyez page 386.
  2. Éditeur, A. Coquerel.