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de lieu presque à chaque scène, d’entasser trente à quarante actions les unes sur les autres, de faire durer une pièce vingt-cinq ans, de mêler les bouffonneries au tragique. Son grand mérite, à mon avis, consiste dans des peintures fortes et naïves de la vie humaine.

Corneille avait assurément une carrière plus difficile à remplir ; il fallait vaincre continuellement la difficulté de la rime, ce qui est un travail prodigieux ; il fallait s’asservir à l’unité de temps, de lieu, d’action, ne faire jamais entrer ni sortir un acteur, sans une raison intéressante ; lier toujours une intrigue avec art, et la dénouer avec vraisemblance ; faire parler tous ses héros avec une éloquence noble, et ne rien dire qui pût choquer les oreilles délicates d’une cour pleine d’esprit, et d’une académie composée de gens très-savants et très-difficiles.

Vous m’avouerez que Shakespeare avait un peu plus ses coudées franches que Corneille. Au reste, vous savez combien j’estime votre nation ; je ne perds aucune occasion de lui rendre justice dans mon commentaire.

Vous me feriez un grand plaisir, monsieur, si vous vouliez bien me dire quel est l’auteur de la petite histoire de David, intitulée the Man after God’s own Heart, et quel est l’évêché qu’on a donné à ce Warburton, qui a prouvé que Moïse ne connaissait ni paradis, ni enfer, ni l’immortalité de l’âme, et qui de là conclut qu’il était inspiré de Dieu. Apparemment que cet évêque a pris le fils de Spinosa pour son chapelain.

I will be for ever, dear sir, your most faithfull and tender servant and friend.


Voltaire.

4838. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 10 février.

Puisque vous êtes si bon, monseigneur, puisque les beaux-arts vous sont toujours chers. Votre Éminence permettra que je lui envoie mon Commentaire sur Cinna ; elle me trouvera très-impudent ; mais il faut dire la vérité : ce n’est pas pour les neuf lettres qui composent le nom de Corneille que je travaille, c’est pour ceux qui veulent s instruire.


La critique est aisée, et l’art est difficile[1].

  1. Destouches, Glorieux, acte II, scène v.