Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/71

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quième acte qui a plu. — À des Allobroges, direz-vous. — Non ; à des gens d’un goût très-sûr, et dont l’esprit n’est ni frelaté ni jaloux, qui ne cherchent que leur plaisir, qui ne connaissent pas celui de critiquer à tort et à travers, comme il arrive toujours à Paris à une première représentation, comme il arriva à l’Enfant prodigue, à Nanine, à Sémiramis, à Mahomet, à Zaïre ; oui, à Zaïre. On est assez lâche pour céder quelquefois à d’impertinentes critiques ; on sacrifie des traits noblement hasardés, auxquels le public s’accoutumerait en quatre jours. Il y a un beau milieu à tenir entre l’obstination contre les critiques des sages, et l’esclavage de la critique des fous. Vous êtes mes sages, mais soyez fermes. Oui, le Droit du Seigneur a enchanté trois cents personnes de tout état et de tout âge, seigneurs et fermiers, dévotes et galantes. On y est venu de Lyon, de Dijon, de Turin. Croiriez-vous que Mlle  Corneille a enlevé tous les suffrages ? Comme elle était naturelle, vive, gaie ! comme elle était maîtresse du théâtre, tapant du pied quand on la sifflait mal à propos ! Il y a un endroit où le public l’a forcée de répéter. J’ai fait le bailli, et, ne vous déplaise, à faire pouffer de rire. Mais que faire de trois cents personnes au milieu des neiges, à minuit que le spectacle a fini ? Il a fallu leur donner à souper à toutes, ensuite il a fallu les faire danser : c’était une fête rrassez bien troussée[1]. Je ne comptais que sur cinquante personnes ; mais passons, c’est trop me vanter.

Nous jouons Cassandre dans huit ou dix jours ; je vous dirai l’effet. Comptez que nous sommes très-bons juges, parce que nous sommes la nature pure et éclairée ; fiez-vous à nous.

Je reviens de Cassandre à mon impératrice. Je savais bien qu’Ivan Schouvalow, mon favori et celui d’Élisabeth, avait raccommodé la princesse impériale avec la mourante ; mais on me dit que dans le fond il est fort mal avec l’empereur germanico-russe, aujourd’hui buvant et régnant. C’est son cousin de l’artillerie qui était en grâce, il n’y est plus ; il vient de mourir[2].

Cet empire russe deviendra l’arbitre du Nord ; je vous en avertis, messieurs les Français.

Faut-il que les Anglais se moquent partout de vous ? Il y a là un keate[3] qui sait boire, qui a captivé l’empereur ; et votre Breteuil n’a captivé personne. Ah ! pauvres Français, avec vos vais-

  1. Dans M. de Pourceaugnac, acte I, scène vi, il est question d’un repas bien troussé.
  2. Pierre Schouvalow, grand-maître de l’artillerie, mort le 16 janvier 1762.
  3. Cet ambassadeur auprès du nouvel empereur de Russie, Pierre III, avait obtenu un grand crédit sur lui.