Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/13

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intéressée à décrier ce qui condamne son état ; et, quoi que puissent penser ses amis sur les gens de lettres, ils pensent uniformément sur l’objet dont nous nous occupons ; ils sont très-capables de répandre, sans se compromettre, ce qui doit percer peu à peu dans l’esprit des honnêtes gens. Je vous avoue, mon cher frère, que je sacrifie tout petit ressentiment, tout intérêt particulier, à ce grand intérêt de la vérité. Il faut assommer une hydre qui a lancé son venin sur tant d’hommes respectables par leurs mœurs et par leur science. Vos amis, et surtout votre principal ami, doivent regarder cette entreprise comme leur premier devoir, non pas pour se venger des morsures passées, mais pour se garantir des morsures à venir, pour mettre tous les honnêtes gens à l’abri, en un mot, pour rendre service au genre humain. Il est clair qu’il faut nettoyer la place avant de bâtir, et qu’on doit commencer par démolir l’ancien édifice élevé dans des temps barbares. Les petits ouvrages que vous connaissez peuvent servir à cette vue : je pense que c’est sur ces principes qu’il faut travailler. Les ouvrages métaphysiques sont lus de peu de personnes, et trouvent toujours des contradicteurs ; les faits évidents, les choses simples et claires, sont à la portée de tout le monde, et font un effet immanquable.

Je voudrais que votre ami[1] eût assez de temps pour travailler à rendre ce service ; mais il a un ami[2] qui est actuellement à sa terre, et qui a tout ce qu’il faut pour venger la vertu et la probité si longtemps outragées. Il a du loisir, de la science, et des richesses : qu’il écrive quelque chose de net, de convaincant ; qu’il le fasse imprimer à ses dépens, on le distribuera sans le compromettre ; je m’en chargerai, il n’aura qu’à m’envoyer le manuscrit : cet ouvrage sera débité comme les précédents que vous connaissez, sans éclat et sans danger. Voilà ce que votre ami devrait lui représenter.

Parlez-lui, engagez-le à obtenir une chose si aisée et si nécessaire. On se donne quelquefois bien des mouvements dans le monde pour des choses qui ne valent pas celle que je vous propose. Employez, votre ami et vous, toute la chaleur de vos belles âmes dans une chose si juste.

Je demande pardon à frère Thieriot, c’est-à-dire à frère indolent, d’être aussi indolent que lui, et de ne lui point écrire ; mais je compte que ma lettre est pour vous et pour lui.

  1. Diderot.
  2. Helvétius passait à Voré les deux tiers de l’année.